Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/969

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plainte indignée, ce qui ne m’empêcha pas de fumer ma pipe et de prendre ma tasse de thé. Plus tard, et tandis que je dormais, ce fut une véritable tempête. Je m’éveillai tout à coup au bruit de la pluie qui battait mes murailles sonores et de l’ouragan qui les faisait craquer. C’était une sensation bizarre que de se trouver ainsi tout d’abord, à l’improviste, sur un hamac de marin, dans une frêle cabine de bois battue par la tempête, au sein d’une espèce de désert. Ma première idée fut que j’étais en mer, que l’écume des flots fouettait mes sabords, et que les voiles claquaient sous l’effort du vent. C’était ma toiture de canevas qui produisait cette dernière illusion. Réflexion faite, j’appréciai mieux ma situation et ses dangers. Il me semblait impossible que devant de si rudes assauts ma frêle coquille pût tenir bon ; mais, quoique ébranlée en toutes ses fibres, la hutte demeura debout, et alors, bien convaincu que je n’étais pas en mer, mais à mille pieds au-dessus du niveau de l’Océan, je me retournai dans mon hamac avec une ineffable sensation de bien-être et de sécurité.

Les nuits qui suivirent ne furent pas beaucoup plus calmes. Il y avait des momens où le bruit du vent sous ma toiture ressemblait d’une manière saisissante à celui qu’eût fait un voleur essayant de s’introduire dans la hutte ; mais d’abord mon chien n’aboyait point, et puis comment imaginer qu’un voleur tant soit peu avisé choisît un pareil temps pour ses expéditions nocturnes ? Au surplus c’étaient là de vaines craintes. Le matin revenait, et je reprenais ma tâche avec plus d’ardeur que jamais. Il s’agissait de fixer sur la toile,— feuille après feuille, brin par brin, — une magnifique végétation dont les mille teintes, les nuances multiples s’abritent à demi cachées sous les tiges charbonnées des bruyères parmi lesquelles a passé l’incendie. De petites fougères, du vert le plus franc, émaillent des touffes écarlates plus brillantes que le plumage de l’oiseau des tropiques ; puis il se trouve d’espace en espace quelques oasis exquises où le gazon est plus court, plus doux, plus velouté, plus vert que celui qui s’étale devant le seuil des palais, et vous pouvez voir, en vous rapprochant, qu’une source cachée baigne perpétuellement chaque tige de ses eaux abondantes et limpides.

Par malheur, la pluie a fini par se frayer un chemin à travers les jointures de mes panneaux, que le menuisier, dans un stupide accès d’amour-propre, a refusé de graisser. Il faut battre en retraite devant l’eau qui suinte ici ou là, placer des vases qui la recueillent à sa chute et préviennent l’inondation, suspendre mon hamac au centre de la cabane au lieu de le laisser plaqué contre une des parois. Tous ces travaux ont au reste l’avantage d’abréger la soirée, qui serait peut-être un peu longue par cet affreux temps et dans une si complète solitude.