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l’uniforme. On me suggéra plus d’une fois que le mariage (un riche mariage, bien entendu) était la plus douce des professions connues. On parla même de me pousser au parlement… Bref, on me trouvait bon à tout, moyennant que je consentirais à ne plus peindre,… autant vaut dire à ne pas déchoir… » M. Hamerton cependant ne se laissa convaincre ni par ce qu’on lui promettait, ni par tout ce que ses lectures lui avaient déjà révélé. Le portrait même du jeune Clive dans Thackeray[1] n’effaroucha point son indomptable volonté : ce fut les yeux bien ouverts qu’il marcha droit à l’abîme dont le détournaient à l’envi tous ses amis, et qu’il accepta le déclassement dont ils le menaçaient. Ses sentimens à cet égard, il les avoue nettement, « Bien assuré que les hommes en général, respectueux devant toute puissance, n’ont pour les artistes qu’une indifférence dédaigneuse, pourquoi, me dira-t-on, n’avoir pas suivi tant d’autres voies ouvertes à votre ambition ? — Tout simplement parce que je me suis rendu, à cet égard, indépendant de la commune opinion. Je la connais, je n’hésite pas à la constater, mais sans faire abstraction de la mienne, qui, Dieu merci, en diffère totalement. »

Quand une âme d’artiste ainsi convaincue juge utile de raconter sincèrement ses travaux, ses efforts, il est peut-être bon de laisser la critique s’effacer devant la citation. C’est donc au jeune préraphaélite que nous céderons maintenant la parole.


I

Si vous avez lu Jane Eyre, — et je prends ceci pour accordé, — vous n’avez point oublié la description de ces vastes landes où l’héroïne de miss Brontë, après s’être enfuie de chez M. Rochester, vient enfouir son désespoir et sa, misère. Je ne connais rien d’aussi triste, dans notre mélancolique Angleterre que ces moors du Lancashire par une journée de pluie. Les collines étendent à perte de vue leurs lignes monotones, et, sur leurs flancs stériles courent les murs de pierre qui marquent les limites de chaque domaine. Ça et là, un pauvre village habité par les carriers qui fouillent les entrailles de ces monticules granitiques ; çà et là, un ou deux châteaux datant du règne d’Élisabeth, abandonnés sur. La crête de quelque coteau maintenant dénudé. Le parc a vu ses pelouses devenir pâturages, ses beaux chênes tomber sous la hache ; les hauts pignons sont lézardés et chancellent sur leur base ; les chambres à lambris sont désertes et glaciales. Il faut traverser ainsi

  1. Voyez les Newcomes.