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avec toute la gravité d’une narration historique. Il est question des Atlantes et de leur île en deux endroits de l’Odyssée. Hésiode et Euripide en font mention. Solon consacra les loisirs de sa vieillesse à composer une grande épopée sur les conquêtes des Atlantes que les prêtres égyptiens de Sais lui avaient racontées. Platon enfin a embelli de toutes les richesses de son style l’histoire de cette contrée disparue, et lui a consacré deux de ses dialogues, le Timée et le Critias. « Il y avait, au-devant du détroit que vous appelez les Colonnes d’Hercule, une île plus grande que la Libye et l’Asie. De cette île on pouvait facilement passer aux autres îles, et de celles-là à tout le continent qui borde tout autour la mer intérieure… Dans cette île Atlantide régnaient des rois d’une grande et merveilleuse puissance ; ils avaient sous leur domination l’île entière, ainsi que plusieurs autres îles et quelques parties du continent… Dans la suite, de grands tremblemens de terre et des inondations engloutirent en un seul jour et en une nuit fatale tout ce qu’il y avait de guerriers, l’île Atlantide disparut sous la mer ; aussi depuis ce temps la mer est-elle devenue inaccessible et a-t-elle cessé d’être navigable par la quantité de limon que l’île abîmée a laissé à sa place[1]… Les noms des premiers citoyens ont été conservés ; mais leurs actions ont disparu de la mémoire des hommes par la destruction de ceux qui leur ont succédé et par l’éloignement des temps, car, comme nous l’avons dit, il n’y a qu’une race qui ait survécu, c’est celle des habitans des montagnes, hommes sans lettres qui n’avaient conservé que les noms des anciens maîtres du pays et savaient très peu de chose de leurs actions[2]. » Rien ne manque à cette légende de ce qui pourrait lui donner un caractère de réalité, ni la généalogie des rois issus de Neptune, et dont le premier, Atlas, a donné son nom à l’île entière ainsi qu’à la Mer-Atlantique qui l’environne, ni la topographie minutieuse des villes où s’entassaient les richesses de plusieurs générations, ni la description séduisante de ces contrées fertiles en fruits délicieux et en innombrables animaux, où l’on voyait des plaines immenses et des montagnes qui surpassaient, à ce que dit la renommée, en nombre, en grandeur et en beauté toutes celles que nous connaissons.

Les commentateurs et les géographes ont interprété diversement la tradition de l’Atlantide que Platon nous a transmise. Les uns l’ont considérée comme une fiction poétique qui ne serait qu’un simple ornement littéraire, où bien comme une allégorie sur les phénomènes géologiques dont la terre a été le théâtre. Sans nier

  1. Platon, traduction Cousin, t. XII, Timée, p. 111.
  2. Ibid., Critias, p. 253.