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certaines imperfections matérielles, reprocher quelque insuffisance, non pas à l’harmonie générale des tons, mais au coloris de telles parties, regretter que, suivant un terme du métier, « la pâte » soit aussi mince, la touche inconsistante parfois jusqu’à la fluidité : il est impossible en revanche qu’on méconnaisse les mérites qui compensent, et au-delà, ces défauts. Le genre auquel appartient la Bataille de Montmirail une fois admis et toute proportion gardée entre des œuvres et des qualités bien inégales, c’est à côté des toiles qui honorent le plus l’art moderne qu’il faut placer l’œuvre d’Horace Vernet, œuvre véritablement nouvelle, puisqu’elle n’a de précédens ni dans notre école, ni ailleurs, qu’elle procède d’un bout à l’autre d’un sentiment aussi original que le mode d’exécution adopté, qu’enfin elle révèle chez l’artiste qui l’a peinte des facultés spéciales dont il ne fera plus tard ni un plus heureux usage, ni un aussi juste emploi[1].

Quelle que soit d’ailleurs, à ne considérer que relativement les résultats, la distance qui sépare la Bataille de Montmirail, et en général les batailles peintes par Horace Vernet vers cette époque, des tableaux qu’il a exécutés après 1830, il ne s’ensuit pas, tant s’en faut, que ceux-ci n’aient qu’une importance médiocre dans la vie de l’artiste et dans l’histoire de notre école contemporaine. Depuis les épisodes du Siège d’Anvers jusqu’à la Prise de Rome ou, plus récemment encore, jusqu’à la Bataille de l’Alma et la Messe en Kabylie, trop de compositions présentes à toutes les mémoires feraient justice d’une pareille assertion; trop de preuves se sont succédé pour qu’il soit permis à personne de mettre en oubli ou en doute cette habileté de plus en plus manifeste, cette inépuisable fécondité. Ce que nous voulons dire seulement, c’est que, dans les travaux d’Horace Vernet, appartenant aux vingt ou trente dernières années, la pratique, à force d’affirmer sa promptitude et sa hardiesse, ne laisse pas d’étourdir le regard, qu’il importait de persuader. A force de s’escrimer à tout propos, de ferrailler avec les difficultés de la tâche, le pinceau arrive à produire une sorte de cliquetis pittoresque où les lignes se démentent, se heurtent, s’inter-

  1. La Bataille de Montmirail ornait encore la galerie du Palais-Royal au moment de la révolution de février 1848. On sait qu’au lendemain de cette révolution, une horde de malfaiteurs envahit les appartenions du palais, et qu’elle lacéra, détruisit ou vola tous les tableaux qui s’y trouvaient. Comme le Gustave Wasa d’Hersent, comme les deux chefs-d’œuvre de Robert, la Femme napolitaine pleurant sur les ruines de sa maison et l’Enterrement, comme tant d’autres toiles diversement regrettables, le tableau d’Horace Vernet disparut dans cette heure honteuse. Retrouvé un peu plus tard et mis en vente au mois d’avril 1851, il appartient aujourd’hui à M. le marquis d’Hertford, qui l’a fait restaurer sous la direction d’Horace Vernet, ainsi que les trois autres batailles, dont il est aussi le possesseur, — Jemmapes. Valmy et Hanau.