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sacrifices, c’était la ruine de nos églises, la mort de nos missionnaires et le massacre de la population de toute une province, véritable fourmilière humaine, sans pain, sans abris, pressée comme dans un étau entre l’ennemi et nous. Une fois maîtres de Shang-haï, les rebelles pouvaient couper les câbles et mettre le feu aux milliers de jonques mouillées en amont des bâtimens européens ; alors, par une forte marée descendante, une irrésistible débâcle de brûlots eût incendié et coulé les deux escadres.

C’est dans ces momens terribles qu’il est beau de voir un homme de cœur et d’énergie chargé d’un grand commandement. La responsabilité ne lui pèse plus, dès qu’il sent que l’initiative est devenue le plus sacré des devoirs. L’amiral Protet alla trouver l’amiral Hope : ces deux hommes se comprirent du premier mot, et le lendemain les habitans de Shang-haï renaissaient à l’espérance : on apprenait que les Français et les Anglais, prenant en main la défense d’un peuple près de périr, allaient mêler encore une fois leur sang sur les mêmes champs.de bataille.


II

Si l’on jette un coup d’œil sur la carte de Chine, l’on voit la province de Shang-haï former un énorme cap, terminé au sud par le golfe de Ning-po et borné au nord par l’immense fleuve du Yang-tse-kiang, qui traverse la moitié de l’empire avant de se perdre dans la mer par deux énormes embouchures. Celle du sud reçoit encore le tribut des eaux de la rivière Whampoa, sur les bords de laquelle s’élève, à sept lieues dans l’intérieur, la ville de Shang-haï. Toute cette province, que les Chinois nomment le Kiang-see, semble un gigantesque delta, coupé dans tous les sens par des milliers de canaux qui, partant du Yang-tse, vont, en s’enchevêtrant les uns dans les autres, rejoindre le Whampoa, le traversent en quelque sorte, recommencent, dans la partie sud de la province appelée Pou-tong, leur inextricable réseau, pour aboutir enfin à un grand canal collecteur, espèce de régulateur de cette masse d’eau dont il verse, par un système ingénieux d’écluses, le trop-plein dans le golfe de Ning-po. Vue à vol d’oiseau, la province de Shang-haï paraîtrait une immense toile d’araignée dont les fils si nombreux seraient les canaux. Deux fleuves puissans, de grands lacs et la marée alimentent tous ces cours d’eau, auxquels les Français donnent le nom espagnol d’arroyos, sans doute en souvenir de nos longues campagnes maritimes dans la rivière de la Plata. Ils sont tous navigables, les plus grands par les bâtimens de guerre et les canonnières, les autres par les embarcations du pays, appelées jonques ou sampans.