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sie, mais vraisemblable ; la description diffuse se condensa en un résumé des faits essentiels, comme le récit purement anecdotique acquit les proportions et la dignité de l’épopée. Plus de conventions ni de mensonges d’aucune sorte ; plus de modifications systématiques à la réalité, aux caractères particuliers de la scène, à la physionomie des lieux, des costumes. Le portrait, si solennelles qu’en fussent les formes, était devenu avant tout un portrait ressemblant. Il faut dire toutefois que dans la Bataille d’Aboukir, dans le Champ de bataille d’Eylau, dans les autres tableaux du même genre peints par Gros avec tant de puissance et d’éclat, ce portrait semble dédié à la gloire d’un homme plus encore qu’à la mémoire des hauts faits accomplis par tous. L’action d’ensemble retracée sur la toile ne sert qu’à encadrer, à environner comme une auréole la figure d’Achille ou de César, à en faire resplendir d’autant mieux la sérénité héroïque et la grandeur morale. Dans les tableaux d’Horace Vernet, il y eut tout d’abord l’expression de l’héroïsme indivis, une image collective des efforts intrépides et des succès. Achille cessa de personnifier absolument la vaillance. César devint légion, ou du moins tout en surveillant, tout en décidant la victoire, il ne s’installa plus si fort en vue, que l’espace manquât à ses lieutenans pour le seconder, ni à ses soldats pour agir. Ajoutons qu’ici la véracité de l’historien ne faisait nul obstacle à la verve du peintre, et qu’au point de vue de l’exécution proprement dite le progrès était évident, non pas sur l’ample manière de Gros, — un pareil maître demeure, cela va sans dire, hors de cause, — mais sur la manière plutôt maigre que délicate des Casanova, des Swebach et de Carle Vernet lui-même.

Les premiers ouvrages produits par Horace Vernet ont à cet égard un mérite qui ne laissera pas de s’amoindrir à mesure que l’artiste agrandira le champ de ses travaux et qu’il se préoccupera davantage des moyens d’étonner le regard. Qu’on se rappelle, par exemple, ce charmant tableau, la Défende de la barrière de Clichy, où tout est si finement et si vivement touché, où la pratique se montre si élégante sans ostentation, si libre sans incorrection ni négligence. Ailleurs la légèreté de ce pinceau pourra bien dégénérer parfois en agilité indiscrète, cette extrême dextérité ne sera plus que l’art d’esquiver les difficultés qui se présentent ou d’en escamoter la solution : ici rien que de précis, de facile avec mesure, de formulé avec une adresse de bon aloi. Sans doute les figures groupées autour du maréchal Moncey ou sur les premiers plans du tableau se meuvent dans une atmosphère un peu terne, sans doute un coloriste, même pour reproduire fidèlement la réalité, eût trouvé sur sa palette des nuances moins absorbées, une gamme de tons