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le plus d’instituteurs et le plus d’enfans fréquentant l’école. C’est après l’Amérique du Nord celui qui fait pour l’enseignement le plus de sacrifices. On compte sur 100 habitans 17 enfans recevant l’instruction publique et 1 maître par 356 habitans, c’est-à-dire deux fois autant de maîtres qu’en Prusse. Les dépenses pour l’enseignement doivent être environ de 6 millions, ce qui fait 2 fr. 25 cent. par tête. La France devrait relativement dépenser 83 millions pour le même objet ; elle est loin d’y consacrer cette somme, et les autres états n’approchent pas davantage d’un tel chiffre. Quant aux mœurs, afin d’en juger, on prend volontiers pour base le nombre des naissances illégitimes ; or nulle part elles ne sont plus rares qu’en Suisse. La proportion y est de 6 pour 100, tandis qu’en Autriche elle est de 13 et en Bavière de 21 pour 100. Dans le canton de Glaris, contrée très industrielle, elle tombe à 1 pour 100. En résumé, le peuple suisse est donc celui qui se loge, s’habille, se nourrit le mieux, fabrique et exporte le plus, fait le plus grand commerce, dépose le plus aux caisses d’épargne, vit le plus longtemps, envoie le plus exactement ses enfans à l’école, paie le moins d’impôts, entretient le moins de soldats et le plus d’instituteurs et compte le moins d’enfans naturels. Ce sont là sans contredit les indices d’une civilisation saine et d’un bon emploi des forces productives.

Je me garde bien de ne voir ici que les effets d’une cause unique, je sais trop ce que peut entre autres pour la liberté, et par suite pour la prospérité d’un peuple, l’émancipation religieuse, mais je ne puis m’empêcher de croire que le partage de la terre entre les mains de ceux qui l’exploitent et la prédominance de la vie rurale sont pour beaucoup dans les heureux résultats que l’on vient de constater. Il n’y a point de grande ville en Suisse. Bâle et Genève n’ont qu’une quarantaine de mille habitans chacune, Berne 30,000, Lausanne et Zurich 20,000 environ. On tombe ensuite à de petites cités beaucoup moins peuplées, quoique souvent très importantes encore par l’activité qui y règne. Comme la centralisation est presque nulle et que la nation est formée d’une agglomération de communes souveraines, chaque localité forme un centre indépendant, et les populations rurales sont à peu près aussi éclairées, aussi riches, aussi avancées sous tous les rapports, que les populations urbaines. En parlant des guerres héroïques qui ont affranchi les Suisses au moyen âge, on a coutume de les appeler un peuple de bergers. L’expression ne serait plus de mise depuis les merveilleux progrès qui ont fait de cette contrée alpestre le pays le plus industriel de l’Europe, Cependant les traditions de l’ancien état de choses exercent encore leur influence. L’industrie, à peu près partout combinée avec l’agriculture, s’est principalement fixée aux champs dans les cantons