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sur cent prennent part à la propriété immobilière. Même dans les cantons où s’est fixée l’industrie, comme Zurich ou Glaris, la proportion ne tombe pas au-dessous de 70 pour 100. Presque tous les ouvriers employés dans les manufactures ont un bout de prairie ou un petit champ, une ou deux vaches et quelques chèvres que soignent la femme et les enfans, et dont le produit, suffisant en partie à leurs besoins, leur permet de traverser les crises sans de trop vives souffrances. Le sol est donc très morcelé. Cependant on ne trouve pas ici ce nombre infini de toutes petites parcelles qu’on rencontre en France et en Belgique au bas de l’échelle cadastrale. D’autre part, les propriétés de 100 hectares sont pour ainsi dire inconnues. Les biens de 50 ou 60 hectares, y compris les bois, sont rares, et passent déjà pour de grands domaines. La grandeur moyenne des exploitations est de 15 ou 16 hectares dans la région inférieure, de 3 ou 4 hectares seulement dans la zone élevée. C’est le canton de Berne, dans ses gracieuses vallées de l’Emmenthal et du Simmenthal, qui présente le plus de belles fermes. C’est là qu’on peut visiter ces riches paysans, fiers de leur opulence rustique et dédaigneux du sort précaire de l’habitant des villes, que Jeremias Gotthelf a si bien décrits[1]. Le morcellement des biens opéré par les héritiers pour sortir d’indivision est chose rare. Dans la plupart des cantons, l’aîné hérite de la ferme et paie leur part aux autres enfans ; ailleurs c’est le plus jeune, et ces coutumes anciennes, si favorables à une bonne culture, sont rigoureusement observées. Dans la campagne, la population augmente très lentement, et beaucoup de jeunes gens émigrent pour chercher fortune loin du foyer paternel, de manière que l’équilibre entre le nombre des biens et celui des héritiers se maintient, Peu d’exploitations sont louées ; le propriétaire cultive presque toujours son bien lui-même. Il s’ensuit que la statistique n’a rien pu recueillir de très précis sur le prix des fermages. Quant aux prix de vente, ils varient tellement, dans un pays si accidenté, qu’il est difficile d’indiquer même une moyenne. Franscini porte le prix des bonnes prairies à 5,000 ou 6,000 francs l’hectare, et la terre arable ne doit pas se vendre moins cher. Dans les localités où se développe l’industrie, on paie la même étendue de 10 à 11,000 francs. Les vignobles ont encore une plus grande valeur : on l’estime de 10 à 20,000 fr. l’hectare, et, pour les expropriations dans le canton de Vaud, les chemins de fer ont été condamnés à les payer jusqu’à &0 et 50,000 fr. Comme il y a peu de travail à exécuter dans une contrée où domine le régime pastoral, chaque famille suffit d’ordinaire pour l’exploitation

  1. Voyez dans la Revue du 1er août 1851 l’étude de M. Saint-René Taillandier sur Jérémie Gotthelf.