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des glaciers ; dans un coin, au-dessus du foyer, une petite grue en bois, tournant dans des tourillons, à laquelle est suspendue une grande chaudière où l’on chauffe le lait pour faire le fromage. Dans le mobilier, on le voit, point de superflu ; on s’étonne du peu qu’il faut à l’homme pour suffire à ses besoins, quand on songe à l’innombrable quantité d’objets qu’ailleurs il nomme indispensables. Tout dans ce rustique intérieur est noirci par la fumée, excepté pourtant les seaux en bois, la baratte, et ce qui est nécessaire pour recevoir et conserver le lait. Sur les alpes où on fait du beurre, les chalets sont ordinairement appuyés à un rocher, où l’on creuse une laiterie, souvent rafraîchie par quelque crevasse qui communique au loin avec l’air extérieur. Ces ventilateurs naturels servent de baromètre : aussi longtemps qu’il en sort un air froid, c’est signe de beau temps ; si le courant s’attiédit, c’est qu’il va pleuvoir.

Un troupeau se compose ordinairement de 25 à 30 vaches à lait, sans compter le jeune bétail, de quelques cochons qu’on engraisse avec le petit-lait, et de quelques poulains. Le personnel régulier attaché à ce troupeau est de quatre personnes : le maître (senn, alpadore dans le Tessin ) qui dirige la manipulation des produits et qui en tient note, son aide (junger) qui prépare le fromage de chèvre, l’ami (der freund) qui va dans la vallée chercher les provisions de bois, de pain, de sel, et qui y transporte les lourds fromages, enfin le jeune pâtre (kühbub) qui suit tout le jour le bétail. Voilà le nombre de personnes qu’exige une bonne division du travail ; mais quand l’alpe est petite et le troupeau peu nombreux, le personnel se réduit à proportion, et souvent un berger doit remplir toutes les fonctions à lui seul ; c’est alors, on le devine, une rude besogne. Les vaches appartiennent d’ordinaire à différens propriétaires : l’un en a cinq ou six, l’autre n’en a qu’une, mais tout le lait est mis en commun et les produits partagés, à la fin de la saison, d’après le nombre de vaches que chacun possède et aussi d’après le lait que donne chacune d’elles. C’est un compte à établir par le senn) qui est rétribué en argent ou en nature, ainsi que ses aides. Deux ou trois fois pendant la saison, les ayant-droit montent tous ensemble sur l’alpe, et vont constater par eux-mêmes, en présence les uns des autres, le produit de chaque bête ; par cette espèce de procès-verbal, toute contestation est évitée. C’est le même principe d’association que celui des fruitières ou fromageries) si répandues même hors des Alpes, dans le Jura et dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Chacun de ces cantons en compte plus de 500, et ces utiles sociétés s’établissent de plus en plus dans tout le pays. Parfois le senn entreprend l’exploitation à ses risques et périls ; il loue l’alpe