Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le fenil, et la sécheresse de l’air permet souvent de le rentrer si vite qu’il conserve une belle couleur verte. Dans certaines parties de la Suisse où il pleut souvent, on dépose l’herbe coupée sur une sorte de grand perchoir : c’est un pieu fixé en terre, et traversé à différentes hauteurs par des bâtons disposés en croix. Le foin étalé là-dessus sèche beaucoup plus vite, et n’est pas exposé à pourrir. Une autre phase de la vie pastorale des hauts cantons, c’est le départ pour les alpes, fête aussi, mais attendrie et mêlée d’adieux, car ceux qui partent, époux et enfans, s’exilent pour quatre mois au sein de pics neigeux. La caravane, qui s’élève lentement à travers les prairies verdoyantes et les noirs sapins, forme un charmant tableau : en tête marchent fièrement les deux vaches conductrices, portant la clochette, marque de leur dignité et preuve de leur expérience ; leurs têtes sont ornées de fleurs. Les autres vaches les suivent une à une, et le taureau porte, attachée entre les cornes, la chaudière pour cuire le lait. Tout autour de ces animaux paisibles, la bande indisciplinée des chèvres dépense en bonds obliques et folâtres son humeur capricieuse. Puis viennent les petits bergers, qui sonnent de la trompe ou chantent leurs jodels aux trilles interminables, et enfin le senn, le pâtre principal, avec ses aides, conduisant le cheval chargé de tous les ustensiles nécessaires pour la confection du fromage. Arrivé sur l’alpe, on s’arrête d’abord à l’étage inférieur. C’est là que se trouve la sennhutte, le chalet grossier des hauteurs. C’est là aussi que les troupeaux se rassemblent chaque soir et que croît l’herbe la plus grasse et la plus précoce.

Celui qui n’a pas visité les chalets des bergers des Alpes peut difficilement se figurer la sauvage simplicité de ces refuges. Ils sont construits, tantôt en pierres brutes superposées, avec un toit de grandes dalles, quand ils sont situés au-dessus de la zone des forêts ou dans une région qui a été dépouillée de ses arbres, tantôt en gros troncs à peine équarris et placés les uns au-dessus des autres quand on a pu se procurer des sapins. Les chalets en troncs d’arbres, dont les joints ont été remplis de mousse, sont bien meilleurs que ceux en pierre ; ils sont plus chauds et moins humides. L’intérieur se compose d’une grande place où se fait le fromage et d’une étable pour les cochons, au-dessus de laquelle on étend le foin qui sert de couche aux bergers. Dans l’unique pièce, point de cheminée, la fumée sort par les fentes du toit ; point de fenêtre, la lumière entre par la porte ouverte ; point de meubles, sauf peut-être un banc grossier ou une pierre qui tient lieu de siège et de table ; point d’ustensiles de cuisine, sauf une écuelle et quelques cuillers en bois ; — sous les pieds, la terre nue ; sur la tête, quelques planches juxtaposées à travers lesquelles passe en sifflant l’âpre vent