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le monde avec la violence et le fracas d’un torrent entendit gronder éternellement sur sa tête les eaux déchaînées de l’Apennin. Une partie du trésor royal avait été déposée près de lui, dans la fosse ; afin d’assurer le secret du lieu, les Goths égorgèrent les captifs qu’ils avaient employés à la creuser. Les derniers désirs d’Alaric, ceux qui lui donnaient pour successeur Ataülf, son beau-frère et son second dans le sac de Rome, reçurent leur accomplissement ; puis cette nation errante, privée du chef qui avait été durant quinze ans son âme et sa pensée, se remit en marche, sous un chef nouveau, vers des destinées inconnues.

Ainsi finit Alaric, le ravisseur de la ville[1], comme l’appela la postérité. Son nom sans doute resta illustre, mais les nations germaniques ne le célébrèrent point par un de ces poèmes populaires qui ont immortalisé parmi elles les noms d’Athanaric, de Théodore, de Totila et même celui d’Attila, qui n’était point Germain. Les Barbares virent peut-être un Romain dans ce généralissime d’Attale, tandis que les Romains y voyaient un Barbare, et en effet l’histoire dira qu’Alaric ne fut complètement ni l’un ni l’autre. Dans ses aspirations vers la romanité, il ne ressentit jamais ces élans de grandeur morale qui enflammaient le cœur de Stilicon ; il se fit Romain par ambition, non par sentiment. Comme Barbare, il fut inférieur à ceux que les Germains considérèrent comme leurs héros : à Théodoric, qui fonda en Italie une royauté gothique ; à Totila, qui se battit pour la conserver, et mourut en la défendant. Alaric se servit de son peuple, dans une vue personnelle, sans ménagement pour l’orgueil national, sans prévoyance et sans grand souci des intérêts barbares. Rome eût compté les Goths parmi ses sujets, si elle eût voulu sérieusement satisfaire la soif d’honneurs romains qui dévorait leur roi. Les héros de l’épopée germanique furent au contraire, des créateurs ou des défenseurs de royaumes : construits avec les débris de l’empire.

Tel fut, pour les vainqueurs, le dernier acte de cette grande tragédie du siège de Rome ; , voyons ce qu’il fut pour les vaincus. Un double, mouvement d’immigration et d’émigration se manifesta dans la ville aussitôt après le départ d’Alaric. Les gens qui entraient étaient des habitans pauvres de la campagne et des villes environnantes, qui venaient prendre part aux distributions, s’établir dans les maisons abandonnées et glaner encore là où avaient moissonné les Goths. Ils accoururent en si grand nombre que, dans un seul jour, dit-on, la population urbaine se trouva augmentée de quatorze mille âmes. Ces nouveau-venus et les misérables de l’ancienne population

  1. Raptor urbis.