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qu’était-ce que tous ces refuges réunis en face d’une, population qui couvrait un espace de plus de 60,000 milles ? Encore faut-il ajouter qu’ils appartenaient de droit aux seuls chrétiens.

Ailleurs sévissait la barbarie, dans ce qu’elle avait de plus hideux. Non-seulement on pillait, mais on tuait, on massacrait partout, hors de la ville comme au dedans. Le nombre des morts fut si grand, qu’on ne songeait pas même les enlever. Ces riches familles du patriciat, dont l’histoire nous peint sous de si vives couleurs l’extrême mollesse et le luxe, eurent le privilège des plus abominables traitemens. « Le feu, l’épée, les chaînes, se partagèrent, suivant le mot énergique d’un contemporain, la destinée des superbes dominateurs du monde, » Les distinctions de la naissance et du rang. n’étaient qu’un aiguillon de plus à la brutalité des vainqueurs ; beaucoup de sénateurs périrent dans les tortures ; on sait quel supplice était réservé trop souvent à leurs femmes et à leurs filles, même chrétiennes. Voilà le tableau de cette première chute de Rome, tel qu’on peut le recomposer à l’aide de faits disséminés dans les écrits du temps. Cette catastrophe, à laquelle personne n’avait sérieusement songé (tant l’éternité de la ville de Romulus était devenue une croyance religieuse), sembla ébranler l’univers entier. On crut que la société humaine allait crouler avec cette fière cité, qui en avait été pendant six siècles la lumière et la tête. « Rome, s’écriait saint Jérôme, est devenue le tombeau des nations dont elle a été la mère. » Les villes de l’Orient et de l’Occident portèrent pour ainsi dire le deuil de ses funérailles ; les peuples barbares eux-mêmes furent frappés de stupeur, comme si le sort leur eût enlevé plutôt, un guide qu’une ennemie. Dans l’intérieur de l’empire, les parais désarmèrent un instant, sous une même impression de surprise, de pitié, de douleur. Augustin pleura. « Je ne pouvais, assure-t-il, me consoler. » Jérôme, au fond de son ermitage de Bethléem, sentit sa langue se dessécher dans sa bouche et le style échapper de ses mains ; il rejeta loin de lui son travail commencé. « Je me tus, (nous dit-il lui-même, car je compris que c’était le temps des larmes. »

Le sac de Rome dura trois jours et trois nuits, puis Alaric donna à son armée, le signal du départ. Les bagages des Goths étaient pleins d’un butin immense dont il est souvent mention dans l’histoire ; le chef, pour sa part, obtint les objets les plus rares, qui composèrent après lui le trésor des rois wisigoths. Entre autres choses curieuses, on signal un vase resplendissant, de pierreries, dépouille lui-même d’une autre ville fameuse, et rapporté de Jérusalem par l’empereur Titus. Le chrétien scrupuleux qui avait respecté le trésor de l’apôtre Pierre fit bon marché de celui du roi Salomon. Alaric emmena avec lui, comme une conquête non moins précieuse, la jeune sœur d’Honorius,