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même un pareil serment sur la tête sacrée du prince. Les officiers présens s’empressèrent de l’imiter, puis tous les commandans des troupes impériales, et l’armée se trouva liée par un serment à une guerre perpétuelle et sans quartier.

Alaric dès lors était dégagé de tout scrupule vis-à-vis du gouvernement impérial, et cependant il retarda son départ comme s’il hésitait. Au moment de franchir le dernier pas, une terreur secrète l’avait saisi : «il ne voulait point prendre Rome, » dit un historien du temps. Dans sa répugnance à rompre ainsi avec une si longue et si chère espérance, car saccager Rome c’était renoncer à lui appartenir jamais, le roi des Goths essaya d’un remède suprême. Il envoya en députation à Honorius les évêques des villes voisines pour lui porter une dernière proposition. Ils devaient le supplier, en son nom, « de ne point permettre qu’une ville qui avait commandé mille ans à une grande partie de l’univers fût ruinée par des armes étrangères, et que tant d’admirables édifices fussent réduits en cendres. — La paix valait mieux, et Alaric se résignait aux conditions les plus modérées. Il ne demandait plus ni dignités, ni puissance; il renonçait aux provinces qu’il avait réclamées, à l’exception pourtant des deux Noriques, qui, fréquemment ravagés par les Barbares, ne rapportaient presque aucun tribut à la république. Il y établirait son peuple, et le prince ajouterait à cette concession une prestation annuelle de vivres en telle quantité qu’il jugerait à propos, Alaric s’en remettant à sa prudence. Le roi des Goths se désistait en outre de la demande qu’il avait faite d’une pension, et il n’en était pas moins disposé à conclure avec les Romains une étroite amitié, une société de paix et de guerre, par laquelle il s’obligerait de porter les armes contre tous les ennemis de l’empire. » Tel fut le message dont les évêques se chargèrent, et, chose incroyable, si l’histoire ne nous en donnait les termes exprès, le plaidoyer d’Alaric défendait Rome contre l’empereur d’Occident. C’était un moyen de salut inattendu que sa modération offrait au gouvernement romain; mais le gouvernement romain le repoussa comme tout le reste. Les insensés qui entouraient Honorius avaient décidé la guerre, ils y tinrent d’autant plus qu’ils crurent avoir fait peur à un tel ennemi. « Point de paix! s’écrièrent-ils avec arrogance. Nous avons juré de ne la faire jamais. Si le serment avait été prêté au nom de Dieu, on pourrait espérer qu’il pardonnât le parjure; mais il a été fait sur la tête du prince, nul ne peut avoir la pensée de le violer! » Les évêques se retirèrent confus, et rapportèrent au camp des Goths ce qui s’était passé : Alaric donna à ses troupes le signal du départ.


AMEDEE THIERRY.