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général romain. Les Bastarnes, les Scythes, les Sarmates, qui habitent en-deçà du Tanaïs, et au-delà de ce fleuve, les rois des Albaniens, des Hiberniens et des Mèdes, m’ont envoyé dès députés pour demander notre amitié. » Il était bien difficile que le cœur des plus mécontens résistât à tant de grandeur ; mais ce qui fut surtout un coup de maître, ce fut d’étendre jusque dans le passé ce souci qu’il montrait de la gloire de Rome. « Il honorait presque autant que des dieux, dit Suétone, tous ceux qui, dans tous les temps, avaient travaillé pour elle. » Et pour montrer que personne n’était exclu de ce culte, il fit relever la statue de Pompée, au pied de laquelle César était tombé, et la plaça dans un lieu public. Cette conduite généreuse était aussi une tactique habile. En adoptant les gloires du passé, il désarmait par avance les partis qui pouvaient être tentés de s’en servir contre lui, et en même temps il donnait une sorte de consécration à son pouvoir en le rattachant à ces vieux souvenirs.

Ces compensations qu’Auguste offrait aux Romains en échange de leur-liberté semblent leur avoir suffi. Tout le monde s’habitua vite au gouvernement nouveau, et l’on peut dire qu’Auguste régna sans opposition. Les complots qui plus d’une fois menacèrent sa vie étaient le crime de quelques mécontens isolés, de jeunes étourdis qu’il avait disgraciés, ou d’ambitieux vulgaires qui voulaient sa place ; ce n’était pas l’œuvre des partis. Et même peut-on dire qu’il y eût encore des partis en ce moment ? Ceux de Sextus Pompée et d’Antoine n’avaient pas survécu à la mort de leurs chefs, et depuis Philippes il n’y avait guère plus de républicains. À partir de cette époque, c’est un axiome adopté de tous les esprits sages « que le vaste corps de l’empire ne peut plus se tenir debout ni en équilibre sans quelqu’un qui le dirige. » Seuls, quelques obstinés, qui ne se sont pas convertis encore, écrivent dans les écoles des déclamations violentes sous le nom de Brutus et de Cicéron, ou se permettent de parler librement dans ces réunions polies, qui étaient les salons de cette époque : in conviviis rodunt, in circuits vellicant ; mais ce sont là des exceptions sans importance, et qui disparaissent au milieu d’un concert universel d’admiration et de respect. Auguste a pris soin de rappeler dans son testament tous les hommages que lui ont rendus, pendant plus de cinquante ans, le sénat, les chevaliers et le peuple. Ce qui explique cette longue énumération, c’est moins un accès de vanité puérile que le désir de constater cet accord de tous les ordres de l’état qui semblait légitimer son autorité. Cette pensée se révèle surtout dans ces dernières lignes du testament où il rappelle une des circonstances de sa vie qui lui était le plus précieuse, parce que le consentement de tous les citoyens y avait paru avec le plus d’éclat : « Pendant que j’étais consul pour la treizième fois, dit-il, le sénat, l’ordre des chevaliers et tout le peuple m’ont donné le nom de père de la patrie, et ont voulu que ce fait fût inscrit dans le vestibule de ma maison, dans la curie et dans mon forum, au-dessous des quadriges qui y avaient été placés en mon honneur par un sénatus-consulte. — Quand j’écrivais ces choses, j’étais dans ma soixante--