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à ces sèches énumérations un tour si majestueux qu’on se sent saisi en les lisant d’une sorte de respect involontaire. Il faut cependant s’en défendre. La majesté peut être un voile commode, qui sert à dissimuler bien des faiblesses ; l’exemple de Louis XIV, si voisin de nous, doit nous apprendre à ne pas nous y fier sans examen. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que la grandeur était une qualité si véritablement romaine que Rome en conserva longtemps les apparences après que la réalité eut disparu. Quand on lit les inscriptions des derniers temps de l’empire, on ne s’aperçoit guère qu’il est en train de périr. Ces pauvres princes, qui possèdent quelques provinces à peine, parlent du même ton que s’ils commandaient encore à l’univers entier, et il entre dans leurs mensonges les plus grossiers un air incroyable de dignité. Si l’on veut donc éviter d’être dupe en étudiant les monumens de l’histoire romaine, il est bon de se tenir en garde contre cette première impression, qui peut être trompeuse, et de regarder les choses de plus près.

Bien que l’inscription que nous étudions porte pour titre : « Tableau des actions d’Auguste, » ce n’est pas véritablement toute sa vie qu’Auguste a voulu raconter. Il y a de grandes lacunes, et qui sont très volontaires ; il ne tenait pas à tout dire, lorsqu’à soixante-seize ans, au milieu de l’admiration et du respect de l’univers, le vieux prince jetait les yeux sur le passé pour en tracer ce résumé rapide, il y avait bien des souvenirs qui devaient le gêner. Il n’est pas douteux, par exemple, qu’il n’éprouvât une grande répugnance à rappeler les premières années de sa vie politique ; cependant il fallait bien qu’il en dit quelque chose, et il était plus prudent encore de chercher à les dénaturer que de les taire. « A l’âge de dix-neuf ans, dit-il, j’ai levé une armée par ma seule initiative et à mes frais ; avec elle, j’ai rendu la liberté à la république, dominée par une faction qui l’opprimait. Le sénat, par des décrets honorables pour moi, m’admit dans ses rangs parmi les consulaires, me conféra le droit de commander les troupes, et me chargea, avec les consuls C. Pansa et A. Hirtius, de veiller au salut de l’état en qualité de propréteur. Les consuls étant tous les deux morts la même année, on me mit à leur place, et on me nomma triumvir pour constituer la république. » Dans ces quelques lignes, qui sont le début du testament, il y a déjà de bien singulières réticences. Ne dirait-on pas en vérité qu’il a obtenu toutes les dignités qu’il énumère en servant la même cause, et qu’il ne s’est rien passé entre les premiers honneurs qu’il a reçus et le triumvirat ? Ces décrets honorables du sénat, qui sont rappelés ici avec quelque impudence, nous les connaissons grâce aux Philippiques. Le sénat y félicite le jeune César « d’avoir défendu la liberté du peuple romain » et d’avoir combattu Antoine. Or c’est après s’être entendu avec Antoine pour asservir le peuple romain, dans la lugubre entrevue de Bologne, qu’Auguste reçut ou plutôt qu’il prit le titre de triumvir. Sur toutes ces choses, le testament garde un prudent silence.

Ce qui suivit cette entrevue était encore bien plus difficile à raconter. C’est ici surtout qu’Auguste voulait qu’on oubliât. « J’ai exilé ceux qui