Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/725

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

actuellement à moins de 400,000 par an, suffisent déjà pour assurer le peuplement rapide de ces territoires. En outre le congrès vient d’accélérer encore la colonisation en votant lehomestead-bill ou loi des foyers domestiques. Ce bill accorde à tous les soldats de l’armée fédérale et à tous les chefs de famille, Américains ou naturalisés, qui n’ont pris aucune part à la rébellion, 64 hectares de terre, à la seule condition que le colon habite sur son domaine et le cultive lui-même. Attirés par ces avantages, les agriculteurs yankees et étrangers se dirigent vers le sud-ouest, tandis que les planteurs, inquiétés par la proximité d’hommes libres, battent graduellement en retraite avec leurs esclaves vers les rivages du golfe du Mexique. Un grand nombre de propriétaires du Texas, de la Louisiane, de la Floride, ont même abandonné le continent et se sont réfugiés dans l’île de Cuba pour y fonder de nouvelles plantations. Avant la guerre, l’émigration se faisait en sens inverse : au mépris des lois les Floridiens allaient recruter leurs nègres sur les côtes de Cuba.

On pourrait, jusqu’à un certain point, apprécier l’importance des résultats obtenus en évaluant le nombre de nègres devenus libres depuis le commencement de la guerre. Ceux qui ont entre les mains leurs certificats d’émancipation ne sont guère plus de 80,000[1] ; mais il faut ajouter à ces affranchis plus de 400,000 noirs des états du centre et de la Louisiane qui, tout en gardant le nom d’esclaves, sont pratiquement émancipés et travaillent à la seule condition de toucher un salaire régulier. Ils constituent déjà la huitième partie de l’ancienne population servile, et leur affranchissement représente pour les planteurs une perte d’au moins 1 milliard, plus que doublée sans aucun doute par la dépréciation générale des noirs qui sont restés à la condition d’immeubles[2]. On pourrait aussi compter parmi les émancipés les 500,000 nègres libres que les législatures esclavagistes avaient en grande partie condamnés à une nouvelle servitude, et que les derniers événemens ont empêché de mettre en vente. Enfin les petits blancs eux-mêmes, qu’une logique inévitable condamnait d’avance à partager tôt ou tard le sort des nègres, et pour lequels les planteurs texiens de l’Arizona et du Nouveau-Mexique avaient ingénieusement établi un système d’esclavage temporaire, sont redevable de leur liberté future à cette guerre qui les décime.

  1. On en compte 18,000 dans la Caroline du sud et dans la Floride, plus de 6,000 dans le Kansas, près de 10,000 à Washington et dans les environs, 2,000 à New-Bern, 20,000 sur les bords du Mississipi en amont de Vicksburg, à peu près autant dans la Basse-Louisiane, 10,000 en Pensylvanie et à Baltimore.
  2. Dans certains comtés du sud, les négresses se vendent maintenant plus cher que les nègres, parce qu’elles sont plus soumises et n’osent pas s’enfuir.