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en s’accompagnant de la lyre, et en même temps il correspondait, sur des matières assurément moins futiles, avec le grave Symmaque, qui l’appelait son fils. Ce patricien accompli, bienveillant et affable pour tous, était devenu l’idole de la société élégante. Les honneurs n’avaient pas tardé à rehausser ses talens divers, et dans l’opinion de beaucoup de gens il pouvait prétendre à tout. Sa foi religieuse était encore un problème, ou plutôt il appartenait à cette classe d’indifférens, alors très répandue, qui oscillait entre les croyances chrétiennes et les doctrines d’un polythéisme raffiné, aux trois quarts littéraire, fondé sur l’admiration d’Homère et sur la dangereuse folie des sciences occultes. Il ne se décida que plus tard à faire profession du christianisme, et l’on verra à quelle condition. Cet homme léger, gâté par les succès du monde, était rongé de l’ulcère qui dévorait cette société, la passion du pouvoir suprême, ce désir fiévreux d’endosser la pourpre, qui faisait passer le manteau des césars, comme par un mouvement perpétuel, sur de si nombreuses et souvent si indignes épaules. Tel qu’il était et que nous avons essayé de le peindre, avec ses agrémens et ses vices, ce personnage tenait dans la députation le premier rang par son mérite présumé, ses anciens services et son crédit.

Les envoyés reçurent à Ravenne l’accueil le plus flatteur et le plus ironique. On combla leurs personnes de prévenances et d’honneurs; mais au tableau des souffrances de la ville éternelle, amplifiées encore par la rhétorique d’Attale et de Cécilianus, les courtisans, loin de s’émouvoir, répondirent presque par un éclat de rire. Quant aux craintes de l’avenir, ils les trouvèrent moins fondées même que les plaintes du passé. « Le danger n’était pas tellement grand que la majesté romaine se dégradât jusqu’à fléchir devant quelques Barbares misérables. L’empire n’existait-il plus? l’empereur n’était-il pas là? Habitué à la victoire depuis son enfance, élevé et nourri parmi des trophées des Goths, Honorius saurait bientôt châtier leur chef insolent. »De tels propos, répétés par toutes les bouches, circulaient vraisemblablement dans cette cour de complaisans et d’eunuques, et lorsque les ambassadeurs, feignant d’accepter ces jactances comme des vérités, s’enquéraient de l’armée qu’on allait envoyer contre Alaric, tout le monde restait muet. Pour dissiper entièrement leurs inquiétudes patriotiques, l’empereur, à la place des secours qu’ils étaient venus chercher, leur octroya des dignités qu’ils ne demandaient point. Comme on était à l’époque du renouvellement des magistratures, il fit passer la préfecture du prétoire de Mallius Théodorus à Cécilianus, qui resta dans Ravenne. Attale fut renvoyé à Rome avec le titre d’intendant des largesses sacrées, en remplacement d’Héliocrates, destitué par Olympius à cause de ses ménagemens envers les proscrits. Maximianus retourna également