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vaillamment dans toutes les occasions, et le général confédéré Stonewall Jackson, qui comptait un grand nombre de nègres dans sa redoutable armée, rendit un éclatant témoignage de leur bravoure. Aussi longtemps que la loi d’extradition des esclaves fugitifs fut observée par les troupes fédérales, les séparatistes, heureux de la naïve complicité de leurs adversaires, purent continuer librement d’armer leurs noirs ; mais ils commencèrent à réfléchir lorsque le gouvernement des États-Unis se fut engagé dans une politique d’émancipation. Enfin, lorsque les généraux Hunter et Butler eurent levé des régimens composés uniquement de nègres, presque tous les chefs confédérés comprirent l’imminence du danger, et cessèrent de donner des armes aux hommes d’origine africaine. L’attitude des soldats noirs se modifiait graduellement, et tôt ou tard aurait pu devenir menaçante : on se contenta désormais de les faire travailler aux retranchemens sous une stricte surveillance.

Mais d’où vient, se demande-t-on, que les esclaves des plantations ne se soient pas encore insurgés pour tenter de conquérir leur liberté de vive force ? Chose étonnante, la nature humaine est ainsi faite, que ceux mêmes qui reprochent aux noirs de ne pas s’être soulevés ne sauraient assez exprimer leur exécration pour les fauteurs d’une guerre servile, si tout à coup elle venait à éclater dans les états du sud ! Quoi qu’il en soit, une insurrection générale des esclaves était complètement impossible avant la période actuelle de la guerre. Dans onze états qui ont proclamé la scission, le nombre des noirs asservis est inférieur de plus d’un tiers à celui des blancs[1], et tandis que ceux-ci sont groupés dans les villes et les villages, les esclaves sont en général disséminés dans les campagnes. Outre les avantages d’une majorité compacte, les blancs ont tous les privilèges que donnent le constant usage des armes à feu, l’unanimité des passions, la solidarité des intérêts, une instruction relative, l’habitude du commandement. Les nègres, au contraire, pauvres ignorans livrés en proie à un désespoir chronique qui leur ôte la faculté de vouloir, mêlent une vénération stupide à la frayeur que leur inspirent les maîtres et les économes ; dispersés sur les plantations par chiourmes presque complètement isolées, soumis à une surveillance de presque tous les instans, n’ayant pas le droit de faire un pas hors du champ sans un passeport, menacés à la moindre incartade du fouet, du carcan ou de l’exil sur une plantation lointaine, épuisés par un travail incessant, ils ne peuvent guère songer à tramer des conspirations dont l’unique résultat serait de les vouer

  1. En juin 1860, les officiers chargé du recensement ont compté dans ces états 5,449,163 personnes de race blanche et 3,521,110 esclaves (61 et 39 pour 100) ; aujourd’hui le territoire encore occupé par les séparatistes compte environ 4,500,000 blancs et 3,100,00 noirs (59 et 41 pour 100).