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des résultats obtenus et cédant peut-être aux bonnes inspirations de leur cœur, signèrent spontanément des actes d’émancipation complète en faveurs de leurs anciens esclaves[1].

Dans la cité même de la Nouvelle-Orléans, les signes précurseurs d’un nouvel ordre des choses n’étaient pas moins évidens que sur les plantations. Un millier d’hommes libres de couleur, que le gouverneur confédéré Moore avait précédemment enrôlés sous le nom de turcos et qui n’avaient pas osé se soustraire à la conscription dans la crainte d’être massacrés, s’empressèrent, aussitôt après la fuite des esclavagistes, de demander leur incorporation dans les troupes fédérales. L’autorisation de s’engager au service de l’Union leur fut immédiatement accordée par un ordre du jour dans lequel le général butler rendait publiquement « hommage à la loyauté et au patriotisme de ces braves, » et les remerciait de leur dévouement « avec éloge et respect ». Noirs et mulâtres, affranchis et hommes libres se présentèrent en foule devant le colonel chargé de les embrigader, et bientôt la garnison fédérale de la Nouvelle-Orléans se trouva renforcée de trois régimens d’hommes de couleur, chargés, par un juste retour des choses, de surveiller les planteurs rebelles qui les avaient si longtemps opprimés. Et pendant que les volontaires africains s’exerçaient au maniement des armes pour défendre à la fois leur propre indépendance et l’intégrité de l’Union, les hommes de couleur les plus instruits et les plus intelligens de la Nouvelle-Orléans revendiquaient pour la première fois la justice due à leur race, et dans cette ville où le mot émancipation résonnait naguère comme un blasphème ne craignaient pas de publier deux journaux consacrés uniquement à la cause des noirs. Les esclaves que la loyauté vraie ou prétendue de leurs possesseurs empêchait d’émanciper commençaient eux-mêmes à relever la tête. On en vit qui poussaient l’audace jusqu’à citer leurs maîtres devant les tribunaux et à réclamer des dommages-intérêts pour les coups qu’ils avaient reçus. Une négresse qu’un homme libre avait achetée pour en faire sa concubine et s’enrichir en vendant successivement les enfans qu’il comptait avoir d’elle assigna devant les juges l’ignoble spéculateur qui lui servait de maître, et réussit à faire prononcer la liberté de ses enfans et la sienne propre. Bien plus, des personnes de couleur osèrent s’asseoir à côté des blancs dans les omnibus et les wagons, et provoquèrent un jugement du tribunal qui leur donnait l’autorisation d’en agir désormais ainsi. Enfin les

  1. En 1830, un planteur louisianais, M. Mac Donough, imagina de vendre successivement à ses esclaves chacun des jours de la semaine. En quatorze ans et demi, ses nègres avaient tous racheté la liberté de la semaine entière, et les profits de son ingénieuse spéculation permirent à M. Mac Donough de s’acheter une chiourme d’esclaves deux fois plus considérable que la première.