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tous les noirs de la Caroline du sud, de la Georgie et de la Floride, c’est-à-dire à près d’un million d’hommes, le quart de toute la population servile. La nouvelle de cette mesure de guerre produisit dans le nord une très vive émotion, bien inférieure toutefois à celle qui avait accueilli la célèbre proclamation du général Fremont. L’esprit public avait fait de tels progrès depuis quelques mois, que le décret du général Hunter était presque attendu ; seulement tous les regards se tournèrent vers le président pour savoir si le moment d’agir dans le même sens était enfin venu pour lui. La réponse ne tarda point. Par un message empreint d’une grande noblesse et d’une certaine mélancolie, M. Lincoln supprima comme inconstitutionnel l’édit du général Hunter ; mais en même temps il affirma qu’il avait lui-même le droit d’émanciper les esclaves de tous les rebelles. Il rappela aux planteurs l’offre qu’il leur avait faite récemment pour le rachat des noirs ; il conjura les séparatistes de ne pas se vouer à la ruine alors qu’on leur offrait généreusement un moyen de salut : « Ne voulez-vous pas accepter ma proposition ? s’écria-t-il en terminant. Jamais, dans les temps passés, un seul effort n’aura pu, par la providence de Dieu, produire autant de bien qu’il est aujourd’hui votre glorieux privilège de pouvoir en accomplir ! Puisse l’avenir n’avoir pas à déplorer que vous ayez négligé cette occasion unique ! » Cet appel n’a pas été entendu. Avec cette exaspération que donne la conscience d’une mauvaise cause, les planteurs ont mieux aimé risquer leur vie et leur fortune que de descendre à la honte de transiger. Frappés de cette démence suprême que Jupiter inflige à ceux qu’il veut perdre, ils courent avec furie à leur ruine.

II.

Tandis que le congrès enlevait à l’esclavage par un vote décisif ces immenses territoires que les deux sections de la république s’étaient toujours disputés, la flotte fédérale, commandée par deux frères d’adoption, David Porter et David Farragut, arrachait aux séparatistes la grande métropole du sud, plus importante à elle seule qu’un grand état comme le Texas ou la Floride. La prise de la Nouvelle-Orléans donnait aux unionistes la possession complète de toute la Basse-Louisiane, peuplée d’environ 300,000 habitans, sur lesquels près de 100,000 étaient encore esclaves. En un seul jour, les états confédérés perdaient la vingt-cinquième partie de leur population. La nouvelle épreuve qu’avait à subir « l’instituion particulière » allait s’accomplir sur une grande échelle.

Considérés en masse, les esclaves de la Basse-Louisiane forment une sorte de tribu distincte relativement aux autres nègres américains. Au commencement du siècle, les noirs de la Nouvelle-Orléans