Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III.

Telle fut la première péripétie du grand drame qui devait se dénouer par le sac de la ville éternelle. Le roi goth avait obtenu l’objet principal de ses réclamations, principal en apparence du moins : de l’argent. Il s’était fait payer l’indemnité convenue avec Stilicon pour l’expédition de Grèce, en ajoutant aux frais de cette campagne manquée un large dédommagement pour celle qu’il venait d’achever aux portes de Rome; mais un autre point restait à débattre, le plus important au fond, quoiqu’il l’eût à peine touché dans la négociation. L’appétit de son peuple pour l’or et le butin était satisfait; ses prétentions personnelles ne l’étaient pas, et sa condition ultérieure vis-à-vis de l’empire n’était point réglée. Maître des milices de l’Illyrie orientale au moment où il avait quitté l’empereur Arcadius, Alaric ne devait pas changer de situation en changeant de maître : le traité de Ravenne le stipulait formellement. Maintenant que le peuple goth, dédommagé de ses dépenses d’armement, se trouvait au cœur de l’Italie, que deviendrait-il, et que ferait-on de son roi? Alaric, qui ne possédait plus ni commandement romain, ni grade, ni pension, redemanderait-il à l’Orient la maîtrise qu’il avait abdiquée au profit de l’Occident, ou bien accepterait-il en Italie la condition d’un Barbare pacifié ou vaincu qui n’avait plus qu’à regagner ses forêts? Voilà précisément ce qu’il ne voulait pas, et fort habilement il avait glissé dans ses propositions au sénat une déclaration de ses sentimens romains, avec l’offre de son peuple pour combattre les ennemis de l’empire. De la part d’un chef d’armée victorieux, imposant à la ville éternelle ses conditions de rachat, une pareille amitié, dangereuse à accepter, l’était encore plus à refuser, et le sénat n’avait rien dit.

La mort de Stilicon donnait à l’ambition du roi des Goths un but déterminé, celui de remplacer ce grand général dans le commandement suprême des milices d’Occident, et de sa part une telle ambition n’était pas gratuite, puisqu’il apportait en retour à l’empire la plus brave armée barbare qui fût au monde. Chacun le comprit ainsi, et beaucoup de gens approuvaient le marché : ses bons procédés à l’égard des habitans de Rome après et même pendant le siège lui avaient d’ailleurs concilié la faveur d’une partie du sénat et du peuple. Quant à l’attitude d’Alaric en Étrurie, elle était celle d’un général mécontent, attendant satisfaction de son gouvernement, plutôt que d’un ennemi opprimant un pays ennemi. A Ravenne, où l’on comprenait l’état des choses tout aussi bien qu’à Rome, la disposition des esprits était inverse : on aimait mieux avec Alaric la guerre que la paix. La cour redoutait ce Barbare de génie qui, une