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béantes recouvertes d’une énorme voûte de brique avec une chaussée assez large pour admettre deux lignes de rails. Sous l’une de ces arches a déjà disparu la locomotive, cette force qui trouve son chemin sous terre et dans la nuit. Une autre va venir ; il est alors curieux de s’approcher du tunnel opposé, et au front duquel brille une étoile rouge ou bleue. Des cercles d’ombre s’enfoncent en se rétrécissant de plus en plus dans cette crypte, jusqu’à ce qu’ils se perdent entièrement au milieu d’un fond noir et uniforme. Si l’on écoute avec attention, on surprend quelquefois un bruit sourd et bourdonnant comme celui qu’entendent les enfans en collant l’oreille contre une conque de mer. Ce bruit peut être produit par une voiture roulant sur le pavé de la rue, mais le plus souvent c’est le sourd retentissement d’une locomotive qui s’avance ; bientôt vous distinguez dans les ténèbres son œil de feu comme celui d’une monstrueuse chauve-souris. Enfin la sanglante clarté du foyer ambulant se réverbère sur l’autre côté de la voûte, et les ombres des chauffeurs se dessinent avec des formes exagérées. La station de Cower-street, ainsi que celle de Baker-street, qui lui succède, se distingue par un système très remarquable d’éclairage et de ventilation. De chaque côté s’ouvrent dans l’épaisseur des voûtes quatorze fenêtres, si l’on peut donner le nom de fenêtres à des puits d’air et de lumière. La clarté du jour tombe en descendant du dehors sur un mur perpendiculaire, revêtu de tuiles blanches vernissées ; les quatorze croisées reçoivent cette lumière accrue par la réverbération, et la conduisent le long d’un canal également tapissé de tuiles brillantes, d’où elle se précipite en pente raide et en manière de cataracte. À l’extérieur, c’est-à-dire dans la rue, ce système de respiration et d’éclairage se montre représenté par deux pavillons de pierre d’un style assez maniéré qui semblent placés là pour l’ornement, mais qui ne sont en réalité que des bouches d’air avec toute sorte d’orifices et d’opercules. Malgré toutes ces précautions et tous ces artifices ingénieux, la lumière ainsi introduite est d’une couleur froide et d’un effet particulier, ainsi qu’une lumière de sépulcre. On pourrait dire qu’elle ne figure là que pour mémoire ; elle suffit seulement à nous rappeler qu’il y a quelque part au-dessus de nos têtes un soleil, du mouvement, de la vie. Le véritable soleil de l’underground railway est le gaz et le charbon de terre. Il est à remarquer que les civilisations de l’Asie semblent vivre sous la dépendance de l’astre du jour, qui a déterminé la forme et la situation des monumens, les usages, les cultes, tandis que les industrieuses sociétés du nord, mais surtout la race anglo-saxonne, vont en quelque sorte contre le soleil, et dans tous les cas se sont affranchies de son influence par la force de la volonté humaine. Je crains bien que ces images de silence et