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s’arrêtait ni jour ni nuit, troubla plus d’une paisible retraite. De distance en distance s’élevaient d’énormes constructions en bois destinées à marquer l’ouverture des fosses (shaft holes), et où des seaux et des chaînes de fer ramenaient à la surface la terre arrachée des profondeurs de la caverne. À peine sortie de ces bouches noires, la même terre était traînée dans des chariots sur les tramways, puis précipitée dans un autre puits, avec un bruit de tonnerre lointain, pour être conduite dans la campagne à travers les branches déjà terminées de l’underground railway. Au milieu de tout ce bouleversement, les maisons voisines eurent naturellement à souffrir. Une loi de tous les grands travaux publics est le sacrifice de quelques intérêts particuliers au bien-être général ; mais quel est celui qui aime à être la victime désignée par le sort ou par le choix des ingénieurs ? La plupart des maisons de New-Road par exemple ont sur le devant des jardins auxquels les Anglais, je l’ai dit, donnent le nom de front-gardens ; je laisse à penser les dégâts commis involontairement par ce tremblement de terre, les palissades enlevées ou meurtries, le sable des allées confondu, les fleurs et les arbustes baissant la tête de tristesse, la blancheur du seuil et des marches de pierre dont les servantes anglaises se montrent si jalouses indignement souillée par une boue argileuse, l’intérieur des appartemens dévoré par la poussière. Tout cela n’était rien encore auprès du tort fait aux magasins et aux boutiques dans les rues obstruées par les travaux. Les intérêts froissés s’abritent volontiers en pareil cas derrière les craintes hypocrites et les fantômes. On fit courir le bruit que les locomotives, en roulant sous terre, ébranleraient les fondations des maisons voisines, peut-être même le pavé des rues, et que Londres, ainsi miné, secoué, se trouverait sous la menace perpétuelle d’un écroulement. Le bon sens public fit aisément justice de ces rêveries ; mais les quartiers qui se croyaient injuriés ne se rendirent point si vite à l’évidence, et signèrent contre la compagnie du chemin de fer des pétitions qui, Dieu merci, ne furent point écoutées.

Cependant l’ouvrage avançait, quoique lentement. Les Anglais aiment à braver par des fêtes l’horreur des lieux lugubres. L’année dernière (1862), j’avais reçu d’un ami un billet m’annonçant qu’il m’attendait vers une heure de l’après-midi à la station de Deptford, et qu’il me conduirait dans un lieu de divertissement (entertainment). Chemin faisant, nous rencontrâmes un trou et une échelle qui s’enfonçait sous terre. Il m’invita poliment à descendre. « Après vous, lui dis-je ; mais je voudrais bien savoir où. nous allons. — Nous allons dîner, » reprit-il avec son flegme britannique. Ayant atteint le bas de l’échelle, qui me sembla fort longue, nous nous trouvâmes sous une immense arcade de brique dans une galerie