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1843 la grande entreprise était terminée, et le fleuve vaincu sans le savoir donnait passage sous ses eaux à plus d’un habitant de Londres. Aujourd’hui le Thames tunnel est un objet de curiosité bien plutôt encore qu’un trait d’union entre les deux rives ; On y descend par deux puits (shafts) situés l’un à Wapping et l’autre à Rotherhithe, qui ont des escaliers en forme de spirale. Les murs se montrent couverts de peintures grossières, mais hardies et hautes en couleur, représentant des vues prises dans différentes parties de l’Angleterre et dans les colonies. Arrivé au bas d’un de ces puits où descend la lumière du jour, le visiteur entre dans la partie obscure du tunnel, et c’est à la lumière du gaz qu’il doit la traverser. À mesure qu’il avance dans cet intestin de pierre, le passant, sur la tête duquel flottent sans doute en ce moment-là des vaisseaux à voiles, perd de plus en plus la notion du monde extérieur, absorbé qu’il est par l’étrangeté de ces lieux humides et taciturnes. Le tunnel se compose dans toute sa longueur (1,200 pieds anglais) de deux passages juxtaposés comme les deux canons d’une carabine rayée, mais qui se réunissent de distance en distance par de petites arcades mitoyennes. Malgré de nombreux étalages destinés à égayer les ténèbres en attirant les curieux, ce triste tunnel reste une entreprise assez peu productive au point de vue financier ; il n’est même pas terminé. Les dépenses qu’il faudrait ajouter aux anciens frais de construction pour ménager aux deux extrémités une rampe aux voitures et aux charrettes ont jusqu’ici fait reculer les actionnaires de la compagnie. Jamais peut-être effort humain n’a mieux démontré la vanité dans certains cas des œuvres les plus sérieuses et les plus dignes d’admiration. Défiez les élémens, renversez les obstacles les plus formidables, commencez et recommencez vingt fois la lutte contre les eaux, contre les entrailles de la terre, contre la nuit, le tout pour construire un bazar où l’on vend des jouets d’enfant et où viennent s’extasier les oisifs, ut pueris placeas et declamatio fias !

L’idée du Metropolitan railway présente quelques traits d’analogie avec le Thames tunnel, et pourtant cette fois le but était bien différent. Il s’agissait d’ouvrir, non plus sous la Tamise, mais sous un fleuve de passans et de voitures, une large artère le long de laquelle pût circuler un courant perpétuel d’affaires, de trafic et de voyageurs. Cette idée remonte à 1852 ; elle fut d’abord proposée par M. Charles Pearsen. Vers 1854, divers plans furent mis à l’étude et rejetés ; on résolut enfin de construire un chemin de fer à travers Londres, ou pour mieux dire sous Londres, entre Farringdon-street et Paddington. En 1859, les difficultés d’argent inséparables de toute entreprise industrielle furent aplanies, et la société du Metropolitan railway se constitua par voie de souscriptions. Peu de