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peuple : « Décernez le pouvoir unique et héréditaire, peu vous importe qu’il soit illimité, puisque c’est le vôtre, et vous le reprendrez quand vous voudrez, puisque vous êtes le souverain. » On n’est point détrôné par un plébiscite. Là où la monarchie héréditaire a été établie, le bon sens universel l’a décidé, on a entendu fonder l’inviolabilité du monarque. Or la responsabilité et l’inviolabilité impliquent.

Si vous insistez sur ce que l’inviolabilité est une fiction dont les révolutions se jouent, on en peut dire autant de toutes les lois. Toutes elles peuvent devenir à certains jours : des fictions. En général, les révolutions sont faites contre les lois et la plus sage est celle qui en viole le moins. Faut-il pour cela cesser d’avoir des lois et les tenir pour inutiles. Et sans force parce qu’elles ont souvent péri de mort violente ? De nos jours, il n’y a pas d’assurances contre les révolutions. Parce que Louis XVI été immolé et Napoléon mis en captivité, faut-il renoncer à regarder dans la monarchie héréditaire le monarque comme inviolable ?

Cessons donc de subtiliser sur la responsabilité. Avouons que là où les ministres ne sont pas responsables, personne ne l’est. L’absence de la responsabilité supposerait que les nations n’ont rien à voir à la manière dont elles sont gouvernées. Elles n’ont rien à y voir, puisqu’elles n’y peuvent régulièrement ! trouver à redire. Si l’on m’allègue les garanties morales, je dis que toutes celles qu’on peut imaginer, l’histoire, le jugement des sages, les sentimens du peuple, les limites du possible, les révoltes, les révolutions, tous ces tempéramens ou tous ces châtimens du despotisme ont existé de tout temps, jusque dans les monarchies les plus asiatiques, et que personne n’en a jamais inféré que celles-ci ne fussent pas absolues.

Ces vérités si simples sont cependant vite oubliées ; dès que les hommes voient dans le pouvoir illimité un protecteur ou un instrument, ils s’abandonnent à lui avec une aveugle confiance. À l’occasion de cette révolution de Suède qui inspire une assez scandaleuse admiration aux futurs enthousiastes de l’insurrection d’Amérique, une femme d’une grande âme et de beaucoup d’esprit écrivait[1] : « Je voudrais demander à tous ceux qui aiment tant le pouvoir, absolu s’ils ont parole d’y avoir part, comme ils l’ont à la liberté publique, et s’ils, ont sûreté de garder celle que le hasard leur y donnerait. » Ce conseil de la plus vulgaire prudence, notre révolution nous l’a répété sur tous les tons. Nous a-t-il profité ?

La responsabilité du pouvoir se résout nécessairement dans celle des ministres, et celle-ci conduit bientôt au gouvernement discuté. Le nom de ce gouvernement, tout le monde le sait, et, quoiqu’il fût

  1. La duchesse de Choiseul, Correspondance inédite de Mme du Deffand, t. II, p. 128.