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L’émancipation des peuples, leur âge de discernement ne sera venu que lorsqu’ils jugeront les grands hommes avec leur raison.

Cette observation n’ôte rien à la grandeur de celui qui la suggère, non plus qu’à la puissance de son nom. La mémoire de l’empire n’en reste pas moins une force politique qu’il y aurait de l’enfantillage à contester, et qui ne sera jamais un médiocre moyen de pouvoir dans les mains qui le sauront manier ; mais il est permis de dire à la démocratie qu’elle serait bien peu exigeante, s’il ne lui fallait pour la satisfaire qu’un nom et rien de plus, et qu’elle a droit d’attendre de ses gouvernemens autre chose qu’un sujet d’éternel entretien autour du foyer rustique.

M. Guéroult a pour elle, nous n’en doutons pas, d’autres prétentions, et d’anciens rapports avec une secte célèbre qui a mis en première ligne le problème économique de la société moderne nous sont garans que pour toute la gloire des Alexandre et des César il ne transigerait pas sur le bonheur social. C’est le point que n’a jamais entendu sacrifier le saint-simonisme, et le moment n’est pas venu de l’abandonner. Pourquoi faut-il que sur ce point même nous ayons encore à faire nos réserves, et qu’avant de rechercher avec l’honorable écrivain quelques-unes des conditions d’un heureux avenir pour la démocratie, nous soyons encore obligé de trouver à redire à sa manière de concevoir et de caractériser l’âge des sociétés modernes ? M. Guéroult, ennuyé des doctrines ascétiques, qui, si elles étaient conséquentes, interdiraient jusqu’à la moindre amélioration de la condition de l’homme sur la terre, prend, comme Chrysale, la défense de la guenille, soutient à l’église que l’homme veut être aimé dans son corps, et semble ne voir dans le grand mouvement du XVIe siècle qu’une réaction contre le mépris de cette chair de péché dont on n’avait enseigné jusque-là que la mortification. Or prendre ainsi les intérêts de la matière, c’est, ce semble, donner gain de cause à ceux qui ont appelé le saint-simonisme l’évangile de la chair. Supposer que la renaissance n’en a été, selon une expression connue, que la réhabilitation, c’est rabaisser l’esprit, diminuer les résultats d’une époque qui a fait de la force morale la rivale de toutes les puissances de ce monde. La renaissance a été avant tout un grand fait intellectuel, plus intellectuel que tout le moyen âge. Elle a réparé ce que le moyen âge avait mutilé, redressé ce qu’il avait abattu. Sans doute elle a fait rentrer toute la nature dans la science et dans l’art ; mais, rappelant la pensée à son universalité, ce qu’elle a relevé, c’est l’humanité tout entière. Elle n’a point pour cela glorifié la matière et tout ramené à une nouvelle philosophie d’Epicure. Si de cet heureux réveil date pour les hommes un lent accroissement de la force, de la santé, du bien-être, ce n’est pas que toutes ces choses aient été mises au-dessus du reste ni présentées