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revoit une amie, la saxifrage à feuilles opposées, que j’avais cueillie au sommet du Reculet, la cime la plus élevée du Jura, et sur tous les sommets des Alpes qui atteignent ou dépassent la limite des neiges perpétuelles. Quand je mis le pied pour la première fois sur les rivages glacés du Spitzberg, la saxifrage à feuilles opposées fut encore la première plante que j’aperçus, car ici elle retrouvait au bord de la mer les étés froids et les neiges fondantes des sommets qui couronnent les Alpes et les Pyrénées. Sur le Ventoux, d’autres saxifrages, également alpines, environnaient la première ; les clochettes bleues de la campanule d’Allioni se dégageaient du milieu des pierres et des plantes naines, comme elles le sont toutes à ces hauteurs, le Phyteuma à capitules arrondies, l’Androsace villeuse, l’Ononis du Mont-Genis, et trois espèces d’Arenaria, se collaient contre les rochers ou pointaient à travers les pierres.

Nous, avons vu combien le Ventoux était heureusement placé et favorablement orienté pour mettre en évidence l’influence des versans sur la végétation ; nulle part cette influence n’est plus marquée que dans la région alpine. Sur le versant sud, elle s’étend des derniers pins rabougris au sommet, sur une hauteur de 111 mètres, savoir de 1,800 à 1,911 mètres. Sur le versant nord au contraire, la région alpine est comprise entre 1,700 et 1,911 mètres, sa hauteur est donc de 211 mètres. Ainsi les plantes alpines se montrent plus bas au nord qu’au midi, parce qu’elles trouvent à une moindre hauteur, à 1,700 au lieu de 1,800 mètres, les conditions climatologiques qui leur conviennent.

Un autre phénomène de végétation trahit l’influence des versans. Le sapin, qui n’existe pas sur le versant sud, s’élève dans les escarpemens du nord, mêlé au pin de montagne jusque la hauteur de 1,720 mètres : il forme une région qui correspond à la zone que ce pin caractérise seul sur le versant méridional ; mais cette région est plus étendue au nord ; les conifères y sont déjà prédominans à la hauteur de 1,380 mètres. Sur les pentes presque verticales qui plongent vers le village de Brantes, les sapins mêlés aux hêtres descendent jusqu’à 1,000 mètres environ. Le pin de montagne obéit aux mêmes influences : sur le versant sud, il commence à se montrer à la hauteur de 1,480 mètres pour cesser à 1,810 mètres. Sur le versant nord, il commence plus bas : on le rencontre déjà à 1,350 mètres ; mais il monte moins haut qu’au sud, car il ne dépasse pas 1,625 mètres.

La région des hêtres existe au nord comme au midi du Ventoux ; mais au midi ils occupent la région comprise entre 1,130 et 1,670 mètres. Au nord, la zone entière se trouve abaissée, car cet arbre se montre à 920 mètres de hauteur et cesse à 1,580. Au-dessous de 900 mètres, même au nord, les étés sont trop chauds pour