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lié ses bandes dispersées, et venait plein de colère leur livrer Rome et le sénat. » Alaric, aux yeux de plusieurs, n’était que le délégué et le lieutenant de l’ancien régent, son ami; il voulait prendre Rome pour la lui remettre. Ces bruits étaient absurdes sans doute, mais les partisans d’Olympius les répandaient pour agiter le peuple, et déjà on entendait crier à la trahison : « Rome est vendue, mort aux traîtres! » Dans le sénat, on pensait généralement avoir affaire au roi des Goths; mais que ce fut Alaric, Sarus ou Stilicon, on soupçonnait au chef ennemi des intelligences au dedans des murs. Comment, répétait-on, se serait-il aventuré ainsi jusqu’au cœur de l’Italie, avec une armée romaine à des et une ville immense en face de lui, s’il n’était pas sûr du succès, si la perfidie n’avait pas tout préparé d’avance? L’idée de trahison, comme il arrive toujours, devint bientôt l’idée dominante dans les masses populaires, d’où elle passa dans le sénat. Une fois admise en principe, on se mit à chercher les traîtres, et, par une pente fatale, le soupçon se dirigea sur la veuve du régent, sur Sérène, qui, dans la retraite où elle pleurait près de sa fille, était restée étrangère à toute intrigue, à toutes relations de parti. L’histoire proclame solennellement son innocence; des esprits prévenus n’y voulurent pas croire. Les clameurs élevées contre elle devinrent bientôt si violentes que le sénat dut s’en émouvoir, et il ne manquait pas d’hommes sans conscience, fins politiques en apparence, haineux ou peureux en effet, qui, sans se soucier du crime, sans vouloir examiner si l’accusée était coupable ou non, proposaient un exemple pour décourager l’ennemi. « Plus l’exemple serait éclatant, plus la leçon serait salutaire, disaient sans doute ces habiles gens : Alaric ou tout autre, si ce n’est pas lui, voyant ses trames découvertes, perdra confiance et retournera sur ses pas. »

Sous la pression de ces sentimens divers, la fille de Théodose, la veuve infortunée du Barbare qui avait voulu rendre au sénat son autorité, à l’empire sa force, et retremper en quelque sorte l’éternité de Rome dans ses vieilles lois, Sérène, arrachée de sa demeure, fut jetée en prison comme coupable d’avoir promis Rome aux Barbares. C’était un crime de lèse-majesté au premier chef. Ces sortes de crimes s’instruisaient régulièrement sous les yeux du prince, premier juge de sa propre dignité et des dangers de l’état ; mais le prince était absent, toute communication avec Ravenne avait cessé, et le temps pressait. La difficulté était donc assez grande, quand un personnage inattendu vint la trancher. Ce fut un autre représentant de la maison de Théodose, Galla Placidia, la sœur consanguine des deux empereurs, la fiancée d’Euchérius, la pupille et l’ennemie de Sérène, enfin l’âme du parti catholique à la cour de son frère pendant la vie de Stilicon. Par quelle étrange fatalité, cette jeune fille se trouvait-elle là, dans un pareil moment, loin de son palais et des