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base du Ventoux et inondent souvent les campagnes comprises entre les collines et la montagne. Ces combes sont séparées par des crêtes plus ou moins larges. Le versant septentrional, au contraire, offre des parois presque verticales, interrompues par des ressauts : tel est celui connu sous le nom de prairie du Mont-Serein à 1,450 mètres au-dessus de la mer, celui de Saint-Sidoine à 780 ; mais les pentes sont toujours très raides et rendent l’ascension extrêmement fatigante. On ne s’en étonnera pas quand on saura que la pente générale du versant méridional est de 10 degrés, et celle du versant septentrional de 19° 30’.

Vu d’Avignon, le Ventoux a une teinte brune qui ne dépare pas le paysage ; mais de près l’aspect de ses pentes dénudées est désolant. Depuis les déboisemens irréfléchis de la fin du siècle dernier, la terre végétale a été emportée par les eaux ou balayée par les vents. La roche calcaire s’est réduite en fragmens de grosseur médiocre qui recouvrent toute la montagne. Vu de Bedoin, le Ventoux ressemble à un gigantesque amas de macadam : il semble que ce mont pelé soit dépourvu de toute végétation ; mais à la base la végétation s’est réfugiée dans les dépressions où le passage des eaux en automne et au printemps entretient toujours une certaine fraîcheur dans le sol. À partir de 1,000 mètres environ, les chênes et les hêtres trouvent un climat moins chaud qui favorise leur croissance ; mais la violence extrême des vents, qui justifie si bien le nom de la montagne, ne permet pas à ces arbres d’acquérir une grande taille, sauf dans les ravins ; ces vents, surtout celui du nord-ouest ou mistral) sont d’une violence dont il est difficile de se faire une idée quand on ne l’a pas éprouvée : les hommes, les chevaux mêmes sont jetés à terre lorsque ce vent est dans toute sa force. La puissance du mistral soufflant dans la plaine du Rhône est généralement connue ; elle peut faire présumer quelle doit être sa violence sur la montagne lorsqu’il vient la frapper directement sans que rien ait ralenti ou brisé son élan. Les anciens le connaissaient : « La Crau, dit Strabon[1], est ravagée par le vent appelé melamboreas, vent impétueux et terrible qui déplace des rochers, précipite les hommes du haut de leurs chars, broie leurs membres et les dépouille de leurs vêtemens et de leurs armes. » Sa violence n’a pas diminué depuis Strabon ; il renverse des murs, de lourdes charrettes chargées de foin, des wagons de chemin de fer, soulève le sable et même des cailloux ; c’est au point qu’on a renoncé à remettre des carreaux à la façade septentrionale du château de Grignan, situé non loin de Montélimart et habité si longtemps par la fille de Mme de Sévigné ; ils étaient

  1. Géographie, t. IV.