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toutes les classes du peuple, à l’endroit de son gouvernement, de pareils abus ? N’est-ce pas chose grave que d’entendre ces Turcs, autrefois si fiers, manifester devant un étranger, devant un infidèle, un aussi profond découragement, et s’exprimer comme le fait devant nous, avec plus de force qu’aucun de ceux dont nous avons déjà reçu les confidences, notre hôte Khalil-Bey, qui ne paraît manquer ni de caractère ni d’intelligence ?

Cependant, malgré le plaisir qu’il semble prendre à causer avec nous et la confiance qu.il nous témoigne, le bey, à ce qu’il paraît, commence à trouver, vers la fin de la semaine, que notre séjour chez lui se prolonge beaucoup. Son rang et les traditions de sa famille ne permettraient ni à nous d’offrir, ni à lui d’accepter une indemnité pécuniaire en échange de la gêne que nous lui causons et de la nourriture qu’il nous donne à nous et à nos gens ; il ne nous reste malheureusement aucun objet de quelque prix que nous puissions lui laisser en cadeau. Au moins, avant de partir, tâchons-nous de payer largement aux domestiques l’hospitalité du maître. Le mot de domestique, que j’emploie, faute de mieux, en parlant de tous ces gens qui vivent sous le toit du bey et qui sont à ses ordres, ne doit pas faire illusion : ce ne sont pas ici des serviteurs à gages comme les nôtres ; ils ne touchent aucun salaire. Le bey leur donne tous les ans, pour leur famille, un ou deux sacs de blé ; ils mangent chez lui quand il y a quelque gala, ils reçoivent quelquefois un pourboire des visiteurs, et surtout ils sont souvent chargés de commissions qui leur valent toujours un bakchich ou cadeau. Il y a des mois où ils ne toucheront pas un sou, d’autres où ils gagneront 2 ou 300 piastres ; il pourra se présenter telle occasion où ils en recueilleront jusqu’à 5 ou 600. C’est une vie irrégulière et de profits incertains, mais dont s’arrange bien l’indolence turque. Mieux vaut encore se serrer parfois le ventre que d’être obligé de travailler chaque jour pour vivre. Avec leurs vieux pistolets et leurs vestes fanées, tous ces flâneurs-là ont la gale et la gardent depuis des années. La maison du bey est complétée par un grand beau garçon de dix-huit ans environ qui porte une veste neuve et de larges culottes blanches. Ce personnage est le domestique de confiance, l’intendant,