Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prince, représentant lui-même ou plutôt incarnation du peuple-roi. Quoi qu’il en soit, on courut à ce nouveau forum par curiosité, par flatterie, par crainte d’être soupçonné; le prétoire du juge civil n’eut plus de chrétiens à sa barre ; la foule se pressa autour du siège de l’évêque. Celui-ci, le bâton pastoral en main, passa son temps à juger des procès, à entendre des avocats, à étudier les lois, au grand détriment de l’instruction religieuse des peuples et de sa propre édification. Augustin s’en plaint amèrement; il maudit presque cette chaîne dorée dont l’ambition épiscopale l’a chargé, cette corvée, comme il l’appelle, qui tue et dévore le temps qu’il doit aux choses divines. «Oh! s’écria-t-il, j’aimerais à passer chaque jour quelques heures dans un beau monastère, travaillant de mes mains, lisant, priant, me livrant à l’étude des livres saints, plutôt que de vivre dans ce tumulte odieux de disputes, de chicanes, de procès... Que ne puis-je dire avec la parole sainte : « Retirez-vous de moi, méchans, afin que je remplisse le commandement de mon Dieu! »

La loi du 19 décembre, sur la suppression des temples et des sacrifices, était la sanction de tous les actes violens dirigés depuis dix années contre l’ancien culte national par les évêques et les moines en dehors de l’administration et malgré elle. Il nous suffira d’en indiquer les principales dispositions pour qu’on juge de l’effet qu’elle produisit sur la masse encore si grande des polythéistes. « Les revenus et annones des temples étaient affectés à l’entretien des soldats. — Les simulacres existant dans les temples, chapelles ou autres lieux devaient être renversés de leurs piédestaux et brisés. — Les temples publics étaient confisqués et appropriés à des usages civils; les temples et chapelles privés devaient être démolis par les propriétaires eux-mêmes. » Toute célébration de festins ou jeux dans les lieux souillés par la superstition ou en l’honneur d’un rite sacrilège était rigoureusement interdite. Ce qui était tout à fait nouveau dans cette loi, c’est qu’elle donnait pouvoir à l’évêque du lieu d’assurer l’exécution de ces mesures par la main ecclésiastique, sans que les magistrats civils fussent moins responsables; leur négligence était punie d’une amende de vingt livres d’or outre pareille amende infligée à leurs officiaux. Ainsi le préfet était soumis à la surveillance de ses agens, les agens et lui à celle de l’évêque. Deux autres lois rendues contre les hérétiques et les Juifs condamnèrent à la peine de mort quiconque troublerait par la force l’exercice de la religion catholique, et à celle de la déportation quiconque attaquerait publiquement ses dogmes. Ces sévices que l’esprit religieux de notre siècle réprouve, non moins que l’esprit de liberté, étaient dans les tendances du catholicisme au Ve siècle; de grands docteurs les provoquaient et en déclaraient l’application