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vieille, puissante corporation et fort indépendante, ne voulut nullement s’associer aux périssables destinées de la compagnie du Sud. Celle-ci même ne le désira pas, sentant que la pesante sagesse de la Banque alourdirait ses ailes dans le vol hardi qu’elle méditait. Ces deux puissances financières restèrent donc séparées, et la ruine de la compagnie n’entraîna pas la Banque. En France, la compagnie des Indes, ayant l’honneur d’avoir des princes pour gouverneurs et hauts actionnaires, sans difficulté associa la Banque à son péril. Leurs destinées, leurs fonds se mêlèrent fraternellement : mesure agréable aux voleurs. Pour décorer ce mariage par un grand air d’austérité, il est dit qu’on ne fera plus de billets, sinon avec beaucoup de formes, sur proposition de la compagnie et par arrêt du conseil. Il est dit que le roi renonce à ce qu’il a d’actions (il arrête le cours de ses largesses illimitées), qu’il ne tirera rien de la caisse qu’en proportion des fonds qu’il y dépose comme tout autre actionnaire.

On poussait avec âpreté la persécution de l’argent. Tout ce qu’on essayait d’exporter était confisqué. On pinça ainsi Duverney, qui tâchait de sauver 7 millions en Lorraine ; on pinça un Anglais, dit-on, pour 24 millions. Le 27 février 1720, défense d’avoir chez soi plus de 500 livres ; rigoureuses saisies, nulle sûreté. Le dénonciateur avait moitié de la confiscation. Un fils trahit son père. Nombre de gens timides aiment mieux sortir d’inquiétude, et viennent docilement changer leurs espèces en billets. L’or, l’argent, ces maudits, sont serrés de si près, qu’ils ne savent plus où se cacher : ils n’ont d’abri sûr que dans les caves de la Banque ; mais l’arrêt qui l’unit à la compagnie en a donné la clé à celle-ci, et lui ouvre l’encaisse. Avant la fin du mois, son gros actionnaire, Conti, arrive avec trois fourgons dans la cour. Il veut réaliser en espèces ses actions. Effroyable impudence de venir enlever l’or que ses légitimes possesseurs apportent avec tant de regret et pour obéir à la loi ! Vouloir que Law publiquement viole cette loi qu’il a faite hier !… Rien n’y servit. Il fallut le payer, remplir ses trois voitures. En plein jour, au milieu de la foule ébahie, il emporte 14 millions.

Le régent fut indigné, mais beaucoup plus M. le Duc, qui regrettait de n’en pas faire autant. Le 2 mars, il prend son parti, et lui aussi fond sur la Banque. Lui, protecteur de Law, il vient le sécher, le tarir, rafler tout et faire place nette. Lui, qui a pu réaliser 8 millions en septembre, 20 millions, dit-on, en octobre, il présente à la caisse pour 25 millions de papier qu’on doit sur l’heure changer en or : coup féroce du chef de la hausse, qui vient outrageusement donner le signal de la baisse ! Law indomptablement répondit à ce coup par un autre désespéré, le plus audacieux du système. Il alla jusqu’au bout, atteignant les voleurs et détruisant leur