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inventa, réunit les recherches voluptueuses, les sensuelles aisances auxquelles ni l’Italie ni la France n’avaient pas songé.

Jouir n’est rien sans outrager. On voulut braver le public, insulter la rue Quincampoix. Lassay, le singe-époux de Mme la duchesse, « pour donner la comédie aux dames, » les mena, et Law avec elles. Ils l’associèrent, bon gré, mal gré, à une farce irritante qui pouvait le rendre odieux : ils lui firent jeter d’un balcon, sur la foule, de vieilles monnaies anglaises du roi Guillaume qu’on ne trouvait plus à changer. On se les disputa, on se rua, et sur cette mêlée un autre balcon, chargé de seaux d’eau, lança un froid déluge (cruel au 25 novembre).

Tout allait ainsi, tout était entraîné dans la férocité rieuse d’un gouvernement de joueurs. Le parti de la hausse et l’ascendant de M. le Duc emportaient tout. Pour empêcher la baisse, on fait de la vigueur en Bretagne, on envoie six bourreaux à Nantes ; on y dresse l’échafaud. Pour pousser à la hausse, pour faire croire que l’on colonise, faire monter le Mississipi, on fait à grand bruit sur les places l’enlèvement de ceux qui vont peupler les îles. Pourquoi donc à Paris plus qu’ailleurs ? Pour que les étrangers, les trente mille joueurs, spéculateurs, qui de toute l’Europe sont venus ici, voient bien de leurs yeux que l’affaire n’est pas chimérique.

Law, on l’a vu, offrait des dots, des primes aux émigrans. Il donnait là-bas trois cents arpens à chaque ménage. S’il eût duré, sa colonie heureuse se serait recrutée par l’émigration volontaire ; mais tout était précipité barbarement pour la montre et la mise en scène, l’effet nécessaire à la Bourse. Un tableau de Watteau, fort joli, très cruel, donne une idée de cela. Quelque enrichi sans doute, un des heureux du jour, qui trouvait ces choses plaisantes, le commanda, et l’artiste malade, âpre et sec, y a mis un poignant aiguillon. On y voit comme la police prenait au hasard ses victimes. Un argousin, affreux orang-outang, avec des mines et des risées d’atroce galanterie, est en face d’une petite fille. Ce n’est pas une fille publique, c’est une enfant, une de ces faibles créatures qui, ayant déjà trop souffert, seront toujours enfans. Elle est bien incapable du terrible voyage ; on sent qu’elle en mourra. Elle recule avec effroi, mais sans cri, sans révolte, et dit qu’on se méprend, supplie. Son doux regard perce le cœur. Sa mère ou quasi-mère plutôt (la pauvrette doit être orpheline) est derrière elle qui pleure à chaudes larmes, non sans cause : le seul transport de Paris à la mer était si dur que plusieurs tombaient dans le désespoir. On vit à La Rochelle une bande de filles trop maltraitées se soulever. N’ayant que leurs dents et leurs ongles, elles attaquèrent les hommes armés. Elles voulaient qu’on les tuât. Les barbares tirèrent à travers,