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III. — LAW VEUT S’ENFUIR. — ON LE FAIT CONTROLEUR-GENERAL. — NOVEMBRE-DECEMBRE 1719.

Quel était l’intérieur de Law ? Si on le savait mieux, bien des choses obscures s’éclairciraient. Ce qu’on en sait, c’est que cet homme, jeune encore, tellement en vue et observé, fut en vain obsédé, poursuivi d’une foule de femmes vives et jolies, terribles. Il ne vit rien. La belle réputation de galanterie qu’il avait apportée disparut tout à fait. On maudissait ce farouche Hippolyte, qui semblait tout entier à la grande chasse des affaires.

En réalité, le roman, la tragédie d’amour, cette beauté étrange qu’il avait enlevée, pesaient sur son foyer. Le temps n’y faisait rien. Mme Law le gouvernait comme un amant, comme un complice. J’ai dit combien elle tenait à la fortune. Elle avait sujet d’être satisfaite. Dans sa position équivoque (non mariée), elle voyait les princesses et duchesses, bien plus les vertueuses, lui faire une humble cour. Son fils dansa avec le roi. Le nonce raffolait de sa fille, la caressait, jouait à la poupée. Mme Law était dans l’empyrée. De si haut, elle apercevait à peine encore la terre, prenait en pitié les mortels, mais son mari surtout. Le brillant duelliste alors ne se ressemble guère. Aujourd’hui il est effaré. Au fort de son succès (novembre 1719), il pose, inquiet et léger, comme un lièvre au sillon, qui flaire, écoute aux quatre vents. À peu ne tient qu’il ne s’envole. Instinct miraculeux ! il entend la pensée, tout ce qu’on ne dit pas encore ; sous la terre, rien ne bouge, tout va bouger. Les rats ne sont jamais surpris sous le sol qui doit enfoncer. Vous verrez un peu plus tard, en décembre, ces intelligens animaux, prudens réaliseurs, laisser tout doucement le système, déserter le papier, chercher les solides maisons, les bons biens patrimoniaux.

D’autre part, Law attend un terrible assaut des Anglais. Leur guerre (dès qu’ils n’ont plus besoin de nous contre l’Espagne) va tourner contre le système. Or le système, qu’est-ce ? Un homme, on le sait, un homme mortel. Son attrait, trop puissant, intéresse à sa mort. Adoré comme César, il peut finir comme lui. Qu’il eût été béni de la banque étrangère, le hardi patriote qui se serait fait son Brutus ! La baisse effroyable et subite qui aurait eu lieu, l’énorme pression qu’auraient exercée des milliards de papier arrivant d’un seul coup au remboursement, auraient produit bien plus qu’une banqueroute. Cette compagnie, qui maintenant levait l’impôt, était l’administration même ; elle eût emporté dans sa ruine le gouvernement, tout ordre public. L’Angleterre serait restée seule, et, seule, eût fait la paix. Il lui était extrêmement avantageux et agréable,