Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus de soixante gravures faites d’après le tableau de la Vierge à la Chaise, et il en a omis beaucoup : quant au nombre des lithographies, il est incalculable ; mais, il faut bien le dire, presque toutes ces reproductions sont déplorables, et elles expliquent parfaitement l’indignation de M. Viardot demandant, avec une sainte douleur d’artiste (Musées d’Italie), qu’il soit fait défense absolue de reproduire cette inimitable peinture. Au fond et en théorie, M. Viardot a bien raison : la popularisation imparfaite des chefs-d’œuvre est un outrage à la mémoire des maîtres, et à la vue de ces reproductions de pacotille, tous ces grands génies, s’ils revenaient au monde, briseraient leurs pinceaux avec désespoir, sans compter que la foule des saints personnages représentés par eux prêcheraient de nouveau contre le culte des images.

Mais il faudrait pourtant faire quelques exceptions et laisser certaines copies à l’étude des artistes. Ainsi, et pour ne parler que de la Vierge à la chaise la gravure de Morghen a un grand mérite de facture ; il en est de même de celle de M. Desnoyers ; celle de Garavaglia (1828) se rapproche du caractère de l’original ; une autre gravure de plus grande dimension a eu en 1851 un succès en Allemagne. Néanmoins rien dans tout cela n’a donné le véritable sentiment et le véritable effet du tableau, et quiconque se le rappelle verra avec une satisfaction sérieuse la gravure de Calamatta. Comme caractère en effet, elle est sans pareille. Elle rend avec une conscience sans détour la manière large et même jusqu’aux libertés de pinceau du modèle, libertés qui vont très loin, puisqu’on a remarqué que l’aspect du tableau était celui d’une peinture à fresque, et que le pied de l’enfant et la main de la mère étaient à peine faits. Calamatta n’a point cherché à dissimuler cette liberté, et il a fort bien fait, selon nous : qui donc se permettrait de terminer les marbres inachevés de Michel-Ange ?

Quant au mérite du procédé de gravure employé par Calamatta, je demanderai la permission de l’indiquer d’après l’appréciation d’un connaisseur exquis. « J’ai pour principe, m’écrit-il, que tous les procédés sont bons, s’ils amènent un heureux effet, et je m’inquiète peu de savoir s’ils sont ou non conformes aux règles. D’ailleurs, ce qui me paraît caractériser le talent de Calamatta, c’est l’absence de procédé particulier. Le burin lui obéit comme à un autre le crayon. Il se pénètre tellement d’avance du dessin, du caractère et du sentiment de son modèle, qu’il grave comme s’il dessinait, avec une sûreté, une facilité de main incomparables. Voyez dans sa Vierge, presque partout une simple taille qui suit et épouse la forme, qui s’infléchit, s’engraisse, s’atténue, pour indiquer ou côtoyer le modèle, quelquefois un point à côté pour la soutenir, très peu de hachures croisées et d’entretailles. Voilà ce qui me frappe par-dessus tout : un grand effet obtenu par les moyens les plus simples. Certes on ne pourrait rendre ainsi un Meissonier, un sujet dont le mérite principal serait dans le fini précieux ; mais pour traduire une œuvre aussi largement conçue que celle de la Vierge à la chaise, je crois qu’il fallait une allure aussi franche, un coup de burin aussi gras et aussi sincère que le coup de brosse de l’original. »


GEORGE SAND.


V. DE MARS.