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les inconvéniens et tous les périls d’une mesure radicale, sans en avoir les avantages. A l’organisation par tribus et par douars, organisation absolument contraire à notre civilisation, de laquelle nous devions nous efforcer d’affranchir les Arabes, on donne la consécration de la propriété collective. On prétend initier les Arabes à la propriété par le communisme. Nous ne concevons pas que l’on ne soit point effrayé des complications de ce communisme que l’on va créer d’emblée. Ce sera une sorte de communisme féodal; tous les profits en seront pour les chefs des tribus, dont ils fortifieront, on ne voit pas avec quel avantage pour nous, la puissance et le prestige. Ce sera un communisme compliqué de servage, avec cet inconvénient de plus que l’Arabe ne sera point attaché comme le serf à la glèbe qu’il cultivera, que le chef, pour le pressurer davantage, pourra le déplacer à volonté. Ce sera un communisme sur lequel viendra se superposer notre administration militaire, chargée d’y intervenir sans cesse. Il nous semble qu’il n’est point nécessaire d’avoir étudié les mœurs des Arabes et de connaître l’Algérie pour être étourdi de la téméraire confusion d’un tel système. Les utopistes qui prétendent que l’Algérie ne peut être mise en valeur pour nous que par les Arabes accusent les colons européens de la stérilité de leurs efforts depuis la conquête. Les progrès réalisés par l’Algérie sont cependant incontestables; les 200 millions qui expriment le mouvement commercial de la colonie ne peuvent être considérés comme une insignifiante bagatelle. Ce qui paraît admirable au contraire à tous ceux qui savent à quelles conditions se fondent les véritables colonies agricoles et commerçantes, c’est que la vitalité de l’esprit d’industrie européen ait pu produire de pareils résultats dans la situation où l’Algérie était placée, en ayant à faire aux trois principes les plus anti-colonisateurs qu’il y ait au monde : notre système prohibitif ou protecteur, qui a si longtemps annulé les ressources de l’Algérie, notre système administratif et réglementateur, et, pour tout couronner, le régime militaire. Si l’on réalise le plan qu’on prépare pour l’Algérie, si l’on ne laisse pas à tous les intérêts le temps de s’expliquer et de se défendre, si l’on ne laisse pas à la métropole le temps de se faire une opinion et de la mûrir, il est à craindre que la marche de notre colonie ne rencontre de nouveaux et graves obstacles. C’est par des coups de pouvoir aussi soudains et aussi prompts que la France a compromis autrefois la fortune de ses colonies, et a fini par faire croire aux autres et par croire elle-même que son génie est radicalement impropre à la colonisation.

L’Angleterre vient de nous donner dans les fêtes du mariage du prince de Galles un de ces spectacles singuliers qui frappent et étonnent la curiosité de l’Europe. C’est toujours la vieille Angleterre, quelque chose d’archaïque et de jeune à la fois, un peuple libre qui a conservé la belle humeur monarchique, qui fête ses souverains avec des sentimens spontanés et une cordialité franche et quelque peu sauvage, et non avec le carton et les oripeaux officiels que nous consacrons sur le continent aux représen-