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sous notre domination et sous celle de nos successeurs... » L’Europe peut rappeler tout cela, elle peut invoquer ce minimum de garanties et d’espérances, et elle n’est que strictement dans son droit. Qu’on ne se fasse point illusion cependant. Les événemens ont marché pour la Pologne comme pour la Russie, placées aujourd’hui l’une vis-à-vis de l’autre dans cette situation où il n’y a plus que le droit en face de la force et où une intervention diplomatique ne peut plus être qu’une médiation prenant comme point de départ des traités dépassés, violés ou abrogés, pour en venir à une solution d’équité supérieure.

Les réformes d’administration, les garanties d’institutions, elles sont salutaires sans doute : il y a eu des momens où elles auraient été efficaces, bienfaisantes, et où elles auraient été acceptées. Aujourd’hui la première difficulté naît de l’invincible méfiance que les événemens ont engendrée, et qui rend un système de réformes presque aussi malaisé qu’une œuvre de réparation plus complète. Je ne sais ce qui serait arrivé, si la politique inaugurée un moment au lendemain de 1815 eût continué et eût été fidèlement suivie. La politique de l’empereur Nicolas a creusé un abîme, et l’empereur Alexandre II ne l’a point comblé. Le malheur de la Russie, c’est qu’elle est engagée depuis longtemps dans une voie où elle est sous le poids d’une fatalité qu’elle a créée de ses propres mains. Ce ne sont point les promesses qui ont manqué : elles ont été multipliées, et elles ont reçu toujours de la réalité le plus cruel démenti. En 1856 même, on l’a vu ces jours-ci par une dépêche de lord Clarendon, le comte Orlof, pour éviter que la question polonaise fût évoquée dans le congrès de Paris, promettait au nom de l’empereur Alexandre II tout ce qu’on pouvait demander, et rien n’a été fait sérieusement. Il y a quelque temps, c’était tout un système de pacification et de conciliation qui s’annonçait à Varsovie par l’arrivée du grand-duc Constantin et par l’avènement au pouvoir du marquis Wielopolski, et le lendemain c’était le recrutement. Il y a peu de mois, les propriétaires du royaume présentaient une adresse au grand-duc, et le comte André Zamoyski était exilé. Plus récemment, une assemblée de la noblesse de Podolie adresse à l’empereur un exposé pour demander l’annexion des anciennes provinces au royaume, et les signataires sont condamnés à quatorze mois d’incarcération dans la forteresse de Petropavlosk pour crime d’état. Or ce crime d’état, c’est une pensée conçue, caressée par l’empereur Alexandre Ier, transformé ainsi rétrospectivement en coupable de haute trahison !

Admettons néanmoins un retour au royaume de 1815 : les difficultés naissent à chaque pas. S’il n’y a point d’armée, toutes les institutions et toutes les réformes possibles sont sans garantie; s’il