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Russie et la France, si ce n’est la révolution polonaise? Si l’on veut peser et mesurer l’intérêt national, permanent de la France dans une telle question, qu’on suppose une Pologne libre, indépendante sur la Vistule, assez forte pour se faire respecter, et qu’on se demande si notre politique, dans ses rapports, dans ses alliances, ne se trouve pas plus libre, plus dégagée, et j’ajouterai même plus naturellement pacifique. Et ce qui est l’intérêt de la France n’est pas moins l’intérêt de l’Europe, rassurée contre le péril d’une crise toujours à la veille de naître, rendue à la liberté de ses mouvemens et de ses progrès intérieurs.

Comment donc entrer aujourd’hui dans cet ordre de problèmes nouveaux qui s’agitent dans le feu d’un soulèvement national et qui se proportionnent naturellement à la marche des choses ? Où est la solution? Où est le moyen de transformer cette situation impossible? C’est ici évidemment que s’élève la grande et sérieuse difficulté. Tant qu’il ne s’agit que d’un élan de sympathie pour les droits, pour les souffrances, pour le désespoir héroïque de cette vaillante et malheureuse race, d’un jugement rétrospectif sur l’iniquité qui l’a dépouillée, le même sentiment retentit partout, — à Londres comme à Paris; il se fait même jour à Vienne, quoique d’une façon plus voilée, comme il éclate chez tous les peuples libres, et le pays où il prend peut-être la forme la plus vive, la plus résolue, est la Suède. Au-delà commence l’obscurité et reparaissent toutes les perplexités de la politique. Diplomatiquement, l’Europe a sans nul doute un titre régulier, précis, puisqu’il en faut un pour s’occuper d’un peuple qui livre son sang en sacrifice, et ce titre est dans les traités de 1815. Dans cet ordre d’idées et en s’armant des garanties que l’empereur Alexandre Ier se faisait un mérite de lui avoir arrachées, l’Europe peut s’informer si le royaume de Pologne est uni à l’empire par une constitution propre, s’il a une administration distincte, s’il a reçu par l’annexion des anciennes provinces cette « extension intérieure » prévue par l’article 1er de l’acte général de Vienne; elle a très certainement le droit d’examiner si les Polonais ont ces institutions qui devaient assurer « la conservation de leur nationalité, » elle peut réclamer des amnisties, des concessions, des réformes, et enfin elle peut justement rappeler, en demandant ce qu’elles sont devenues, ces paroles que l’empereur Alexandre Ier adressait aux Polonais : — « Une constitution appropriée aux besoins des localités et à votre caractère, l’usage de votre langue dans les actes publics, les fonctions accordées aux seuls Polonais, la liberté du commerce et de la navigation,... votre armée nationale, tous les moyens garantis pour perfectionner vos lois, la libre circulation des lumières dans votre pays, tels sont les avantages dont vous jouirez