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triche, un moment rapprochées contre la Russie et la Prusse, nouent une alliance à laquelle M. de Talleyrand donne un but en parlant du rétablissement de la Pologne, et qui apparaît dans le lointain comme l’ébauche prématurée d’une alliance toujours possible, vaguement essayée pendant la dernière guerre d’Orient. C’est là ce qui apparaît dans la mêlée des négociations de 1815.

Et maintenant où est le nœud de la situation qui fait en quelque sorte explosion aujourd’hui, après un demi-siècle? Il est, si je ne me trompe, dans un fait éclatant : c’est que de ces deux ordres d’idées qui se mêlent, se heurtent en 1815, l’idée seule de la domination matérielle a prévalu, séparée des garanties qui la limitaient. Les puissances restées souveraines des lambeaux dispersés de la Pologne ont moins songé à faire honneur à leurs déclarations et à leurs promesses qu’à se retrancher dans les stipulations diplomatiques qui étaient leur titre de possession. Elles se sont dit ce que disait M. de Nesselrode après 1831, que ce que les traités de 1815 avaient entendu garantir, c’était l’incorporation définitive et irrévocable des provinces polonaises aux divers états, que le reste était un acte libre de souveraineté, d’où il suit que l’Europe, au lieu d’assurer à la Pologne une dernière ombre de vie nationale, se serait engagée à demeurer la spectatrice indifférente de son anéantissement, à couvrir de sa garantie ou de son silence l’excès de toutes les dominations. L’empereur Alexandre Ier seul un instant songeait à réaliser ses promesses; il donnait au royaume qu’il avait créé, et qu’il n’eut pas le temps de compléter par l’annexion des autres provinces, une constitution, une armée, une véritable autonomie administrative; mais, ce premier instant passé et l’empereur Alexandre descendu au tombeau, une politique nouvelle surgissait avec l’empereur Nicolas, la politique de dénationalisation et de compression, et cette politique, momentanément interrompue par la révolution de 1830 qu’elle provoquait, plus acharnée après la défaite de l’insurrection, a duré vingt-cinq ans, l’espace d’un règne. Elle peut se résumer dans un mot : c’était la guerre à la Pologne, à ses lois, à sa langue, à sa religion, à ses mœurs, à ses costumes, à l’indépendance de sa vie morale et intellectuelle. La guerre a été moins dure dans les autres provinces, je veux dire moins passionnément systématique ou plus accidentelle dans la Galicie, moins violemment compressive à Posen, bien que lord Palmerston se soit fort hasardé récemment en se portant garant de l’exécution des traités par la Prusse. Le système n’a pas moins été partout à peu près le même; il a tendu à un objet identique, la suppression d’un peuple par l’oubli des engagemens publics. De son côté, cette nationalité polonaise dont la conservation était pourtant garantie, cette nationalité, ainsi