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gloire. » Lord Castlereagh résistait néanmoins, voyant percer l’ambition moscovite sous ces séduisantes paroles.

Chose plus curieuse encore, dès cette époque, dans un moment où l’on s’inquiétait des velléités de prépondérance de la Russie, qui alors comme aujourd’hui était en alliance intime avec la Prusse, M. de Talleyrand allait un jour droit à lord Castlereagh, lui proposait une alliance commune à la France, à l’Angleterre et à l’Autriche, et échangeait avec lui ce dialogue significatif, qu’il raconte dans une de ses lettres : « ... Une convention! dit lord Castlereagh, c’est donc une alliance que vous proposez? — Cette convention, repris-je, peut très bien se faire sans alliance; mais ce sera une alliance, si vous le voulez : pour moi, je n’y ai aucune répugnance. — Mais une alliance suppose la guerre ou peut y mener, et nous devons tout faire pour éviter la guerre. — Je pense comme vous, il faut tout faire, excepté de sacrifier l’honneur, la justice et l’avenir de l’Europe. — La guerre, répliqua-t-il, serait vue chez nous de mauvais œil. — La guerre serait populaire chez vous, si vous lui donniez un grand but, un but véritablement européen. — Quel serait ce but? — Le rétablissement de la Pologne. — Il ne repoussa point cette idée et se contenta de répondre : Pas encore!... » Ce fut, on le sait, le germe du traité du 3 janvier 1815 entre la France, l’Angleterre et l’Autriche, qui, à la vérité, ne spécifiait pas le rétablissement de la Pologne, mais qui pouvait y conduire, la guerre éclatant. Ce n’est pas sans dessein que je multiplie ces témoignages d’une autre époque. Ce que je veux remarquer, c’est que, même dans les traités de 1815, dans les circonstances et les commentaires qui les accompagnent, à côté de la sanction matérielle, diplomatique d’une triple domination étendue aux provinces de l’ancienne Pologne, l’idée de la nationalité polonaise est sauvée du naufrage et placée sous la garantie de l’Europe; à côté du droit amoindri par la raison d’état, par les impossibilités du moment, il y a comme une réserve d’un droit plus entier, plus étendu, et comme un appel à l’avenir. Ainsi M. de Talleyrand dit le premier que la France eût désiré une justice plus complète, qu’elle regrette que des obstacles s’opposent à une réparation. Lord Castlereagh ajoute qu’une Pologne indépendante est le vœu constant de l’Angleterre. M. de Metternich ne cache pas que l’Autriche eût été prête à souscrire à une restauration de l’indépendance polonaise, qu’elle eût même fait sans peine des sacrifices pour y arriver. L’empereur Alexandre Ier de Russie déclare lui-même que rien n’empêche une reconstitution de la Pologne, si l’Europe le désire plus tard, et que la formation d’un royaume restreint, uni à la Russie, est en attendant un acheminement vers ce grand résultat. La France, l’Angleterre et l’Au-