Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dix-sept personnes absolument étrangères à l’insurrection, des fonctionnaires, le juge de paix et son greffier, le maire de la ville, le médecin, le pharmacien, des préposés de la douane, le vérificateur des tabacs, le vicaire, le maître de poste, etc., et c’est la troisième scène de sang que le même fonctionnaire rapporte en quelques jours. — Voici une autre petite ville, Miechow, momentanément occupée par les insurgés et attaquée par un détachement russe. Les habitans restent étrangers au combat; n’importe, quand les soldats entrent une demi-heure après la retraite des insurgés, ils commencent par tirer dans les fenêtres des maisons, brisent les portes, envahissent les demeures, prennent l’argent qu’ils trouvent, massacrent le bourgmestre. « Ni l’autorité du rang, dit le chef civil du district, ni le grade, ni l’uniforme, ni les signes honorifiques, ne pouvaient préserver la vie des victimes. » Quelques personnes vont se cacher dans un couvent, et, n’étant plus en sûreté, sont réduites à s’enfuir dans la campagne. Pendant ce temps, on met le feu à la ville, et « ce qui est plus affreux, poursuit tristement le fonctionnaire qui raconte ces faits, c’est que l’incendie fut allumé à dessein par les soldats défenseurs naturels de l’ordre. »

Ce n’est pas tout : voici un homme connu par ses opinions modérées, et même, si je ne me trompe, membre du conseil d’état de Varsovie, le comte Poletyllo, dont le château, à Woislawice, devient le théâtre du drame le plus sombre. Le comte Poletyllo se trouvait chez lui avec ses deux jeunes enfans malades, son beau-frère, M. Woyciechowski, et le fils de ce dernier, un de ses amis, propriétaire voisin, le major Kuhn, un vieil officier polonais, le colonel Dunin, et quelques parentes. Il était à dîner, lorsqu’on annonçait tout à coup l’approche d’une colonne russe. Le propriétaire, n’ayant rien à cacher, était sans inquiétude. Bientôt cependant on entendait des coups de feu, puis des coups de canon, et des cosaques débouchaient, précédant l’infanterie. C’était un véritable assaut dirigé contre la maison, et en un instant tout fut envahi et mis à sac. Lorsque l’on put se reconnaître, M. Woyciechowski était gravement blessé, et son fils était mort. Le major Kuhn et des gens de la maison avaient été aussi atteints. Le colonel Dunin attendait tranquillement dans un salon; des soldats coururent sur lui, et aussitôt il recevait deux balles dans la joue et un coup de baïonnette qu’il put à peine détourner de sa poitrine. On traîna le vieillard tout ensanglanté au dehors, en le poussant à coups de crosse. Il put s’approcher d’un officier. « Qui êtes-vous? dit celui-ci;... c’est un malheur, mais on a tiré sur nous. — Je suis en votre pouvoir, répliqua le colonel Dunin, vous savez qui je suis; faites rechercher dans la maison, et si on trouve même un pistolet ou une arme quelconque,