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ou inutiles. Les élémens qui sont entrés dans la lutte sont peut-être plus difficiles à préciser. Sans doute il y a un sentiment commun dans tout le pays, et toutes ces questions de démocratie, de socialisme, de propagande révolutionnaire qu’on agite, comme pour faire illusion à l’Europe, n’ont ici qu’un rôle absolument effacé, si même elles ont un sens quelconque dans l’état actuel de la société polonaise. Il serait néanmoins peut-être aisé de distinguer, à n’observer qu’un fait, que dans la première surprise, à l’origine, il y a eu des nuances dans l’action des différentes classes. Ainsi il est évident que le noyau primitif, énergique et puissant de l’insurrection a été la population des villes particulièrement atteinte par le recrutement, toute cette classe moyenne active, intelligente, aspirant à prendre un rôle qu’elle n’a point eu jusqu’ici, composée d’industriels, de petits propriétaires, d’employés, d’ouvriers. Les grands propriétaires, dans les premiers jours, restaient dans une certaine expectative, hésitant à tout risquer, à compromettre l’avenir du pays en un mouvement qu’ils jugeaient prématuré, mal préparé, et formant une sorte de réserve imposante en cas d’une déception trop prompte. Les étudians eux-mêmes de l’université de Varsovie et de l’école polytechnique de Pulawy refusaient d’abord de se jeter dans l’insurrection, ou résistaient encore du moins à l’excitation du moment. Quant aux paysans proprement dits, aux cultivateurs répandus dans les campagnes, sans être hostiles, ils restaient passifs et inertes; vivant dans la sphère de leurs intérêts pratiques, ils en étaient à mal comprendre un mouvement qui ne les touchait pas directement, et dont ils avaient été en quelque sorte désintéressés d’avance par l’exemption calculée de la conscription. Dans plusieurs provinces, ils semblaient vouloir rester neutres.

Il ne faut point s’y tromper cependant : ces différences étaient plus apparentes que réelles, et c’est la Russie elle-même qui a pris soin d’effacer ces nuances, de refaire l’unanimité dans l’action comme dans les pensées. Par le recrutement, elle avait déjà donné à l’insurrection une armée qu’elle n’aurait point eue sans cela; en vantant les étudians de Varsovie pour leur bonne tenue, leur subordination et leur amour de l’ordre, elle les poussait à s’en aller rejoindre les insurgés; en cherchant à tirer avantage de l’attitude de la noblesse, elle la provoquait à se déclarer plus nettement et à répondre par une proclamation qui finissait par ces mots : « Les pères suivront leurs fils! » Et pour les paysans, ils n’ont pas tardé eux-mêmes à se sentir entraînés par le courant. La Russie, il est vrai, après les avoir exemptés du recrutement, a cherché à s’en faire des auxiliaires, à exciter leurs passions et leur cupidité. Il y a tel commandant militaire, le général Chruszczef à Lublin, qui a