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son but, et dégageant sans effort la moralité qui lui sert de conclusion, le souci d’instruire et de laisser une leçon certaine dans l’esprit de l’auditeur et du lecteur, le mélange obligé d’ironie et de candeur, de scepticisme et de feinte crédulité. La sagesse orientale affectionne volontiers la forme de la sentence et du proverbe : les Arabes, les Persans et les Hindous ont laissé des modèles en ce genre; mais les proverbes chinois, moins pittoresques et moins poétiques généralement que ceux des autres nations orientales, se distinguent par une science mondaine, une connaissance des petits ressorts de l’âme, des voies et moyens des passions, de la tactique sociale en un mot, qui ferait honneur aux moralistes les plus expérimentés des sociétés européennes. Ce n’est plus seulement la sagesse religieuse et morale qui s’exprime par les proverbes chinois; c’est, comme dans la plupart des nôtres, la sagesse pratique et terre à terre. Un recueil bien choisi de proverbes chinois serait, pour les rapports de l’individu avec ses semblables, ce que l’almanach du Bonhomme Richard est pour les rapports de l’individu avec lui-même : un manuel admirable de savoir-faire mondain et de prudence sociale. Les proverbes des autres nations orientales sont des résumés synthétiques de la sagesse, et posent toujours des conclusions générales; les proverbes chinois se plaisent au contraire dans le particulier, dans le détail, dans les applications minutieuses des principes généraux.

Cependant on pourrait ne pas trop s’étonner de rencontrer dans certains genres littéraires quelques traits de ressemblance entre le génie chinois et le génie européen. Le théâtre a pour but l’observation directe et positive de la vie; le roman, l’analyse des réalités prosaïques; l’apologue et le proverbe, la vulgarisation des lieux-communs de la morale et de l’expérience. Ces genres n’expriment, à tout prendre, que la partie la plus matérielle, la plus prosaïque, la plus extérieure de la vie, et les réalités prosaïques de l’existence se ressemblent beaucoup en tout pays. Tenons-nous donc aux genres qui, dans toutes les littératures, expriment la vie poétique, intérieure, subjective de l’âme, la poésie lyrique par exemple. Voici justement que s’offre à nous une traduction récente des principaux poètes lyriques d’une des époques les plus littéraires de cette nation de lettrés. S’il y a dans le caractère et le génie chinois quelque originalité cachée, cette originalité se trahira certainement dans les expressions des sentimens intimes, des tourmens et des douleurs de l’âme. L’originalité se trahit en effet, mais la ressemblance du génie chinois avec le génie européen ne s’évanouit pas pour cela; au contraire elle s’accuse et se confirme encore davantage. Ces poésies chinoises sont ravissantes; mais si le traducteur, M. d’Hervey