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sité n’a pas été souvent punie de la sorte. Il voulait voir d’autres paysages, d’autres fleuves, d’autres cieux, et il est parti pour visiter l’Écosse, l’Italie ou l’Allemagne ; il arrive au terme de son voyage, et il se rencontre face à face avec les paysages bien connus de sa Provence, de son Auvergne ou de sa Lorraine natives. Était-ce vraiment bien la peine de courir si loin pour se retrouver dans son propre pays, pour revoir la même montagne avec le même torrent, ou la même plaine majestueuse et sèche avec le même soleil aveuglant ? Peu s’en faut alors que nous n’accusions la nature d’infécondité ; nous lui accordons dans ces momens-là peu d’imagination, nous trouvons qu’elle se répète et copie ses propres œuvres. Cependant la mystification est peu cruelle, et le premier moment de désappointement et de dépit passé, nous sommes au contraire heureux de reconnaître que la nature est partout semblable à elle-même, que nous n’étions pas les déshérités et les indigens que nous croyions être lorsque nous avons quitté nos foyers pour aller chercher des lieux où nous pensions qu’elle avait été plus prodigue de ses bienfaits. Les mêmes spectacles que nous désirions, les mêmes beautés que nous convoitions, elle en avait entouré notre demeure et décoré notre enclos ; ces biens étaient là, à portée de notre œil et de notre main. Le dépit se change en reconnaissance, et nous ne regrettons plus d’être allés chercher si loin la preuve que la bonne mère savait répartir également son opulence sans établir de privilèges et sans blesser la justice, et qu’elle avait en tous lieux même visage débonnaire pour tous ses enfans.

La même mystification se produit souvent dans la vie intellectuelle, lorsque, fatigué des chefs-d’œuvre connus et des littératures qui lui sont familières, notre esprit demande à courir les aventures à travers les œuvres des littératures lointaines. L’humanité que lui peignent les œuvres littéraires qui appartiennent à son pays et à sa civilisation n’a plus rien, semble-t-il, à lui apprendre ; les peintures de ses mœurs et de ses sentimens n’ont plus pour lui aucune saveur, et il cherche ardemment une autre humanité qui lui révèle des sentimens inconnus, qui donne un démenti à son expérience et à son éducation, qui lui fasse voir le monde sous une autre lumière que celle à laquelle ses yeux sont habitués. Combien de fois sa vaine curiosité n’est-elle pas trompée ! Combien de fois ses recherches aventureuses n’ont-elles d’autre résultat que de replacer son esprit en face de ces mêmes œuvres qu’il avait voulu déserter ! La même vieille sagesse connue lui parle à travers ces œuvres exotiques ; tout ce qu’il y a gagné souvent, c’est d’entendre cette sagesse s’exprimer avec un ton d’oracle, au lieu de l’entendre s’exprimer avec la bonhomie et la familiarité qui lui sont habituelles. Ce conte qu’il est