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éternels, les croyances enfin ne sont plus qu’affaire d’examen et d’appréciation individuelle. La théorie de l’église a toujours été que la vérité chrétienne est évidente, si bien que l’endurcissement seul peut se refuser à en reconnaître l’éclat. Ébranlez ce principe, et le dernier vestige de la scolastique a disparu de la pensée moderne. La doctrine religieuse a toujours aspiré à s’imposer; elle est désormais réduite à se proposer, elle perd le privilège de l’anathème : elle tombe dans le droit commun, je veux dire dans le domaine de la discussion; elle ne peut plus en appeler de l’homme égaré par le péché à l’homme repentant; elle n’a plus le monopole de la certitude et de la vérité. Tranchons le mot, la doctrine religieuse n’est plus qu’une opinion.

Je n’ai garde de compromettre en l’exagérant le fait qu’il s’agit d’établir. Je suis loin de supposer que les hommes se déterminent uniquement, dans leur manière de voir, d’après des preuves et des raisons. Je ne crois pas faire la part du préjugé et des passions plus petite qu’elle n’est en réalité; je la crois considérable. J’admire tous les jours à quel point on croit ce que l’on veut croire et l’on ne voit que ce que l’on veut voir. J’ai beau avoir confiance au progrès, je ne réussis point à me représenter une époque où le gros des hommes auraient pris l’habitude de peser avant de décider. Le parti-pris restera longtemps encore la cause déterminante des opinions; mais cet état des esprits, si je ne me trompe, ne sert qu’à rendre plus frappans les faits qui viennent de passer sous nos yeux. Qu’avons-nous vu en effet? Des hommes de parti-pris, des hommes qui avaient donné à leur foi des gages considérables, qui avaient embrassé un ministère religieux, que l’ardeur de leurs convictions avait entraînés au milieu des périls et des privations d’une mission lointaine, et qui tout à coup se sont arrêtés pour se remettre d’accord avec eux-mêmes. C’est un Lamennais, qui a défendu l’église et traduit l’Imitation c’est un Francis Newman, qui a été annoncer l’Évangile à Bagdad; c’est un Bunsen, sorti des rangs du piétisme le plus étroit; c’est Colenso enfin, qui n’a qu’une pensée, l’avancement du règne de Dieu sur la terre : ce sont ces hommes chez qui l’expérience, la réflexion, l’étude, ont fini par modifier les convictions les plus chères, par renverser les croyances au service desquelles ils avaient consacré leur vie.

Est-ce à dire pour cela que la religion arrive inévitablement à une négation? Devons-nous admettre que les sentimens les plus élevés du cœur de l’homme soient à la merci des variations de la pensée ou des découvertes de la critique? Les croyances chrétiennes sont-elles une illusion de l’enfance que la maturité est destinée à dissiper impitoyablement? Je suis loin de le penser. Il y a ici une dis-