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nègres fugitifs, hommes, femmes, enfans, étaient, à l’insu du président, enfermés dans de hideux cachots où ils restaient des mois entiers sans vêtemens et presque sans nourriture. Aux portes de la capitale, sur les bords du Potomac, un Africain, qui avait servi d’espion à l’armée fédérale, fut rendu par un officier à son ancien maître, qui, dans un transport de rage, fit aussitôt périr l’esclave sous le fouet. Le jury s’assembla et prononça le verdict suivant : « Esclave Jack, âgé de soixante ans, mort de fatigue et d’épuisement. »

À ces atrocités on peut heureusement opposer un grand nombre de cas qui prouvent combien les mœurs des Américains du nord s’amélioraient à l’égard des nègres. La plupart des généraux, suivant l’exemple qui leur avait été donné par le commandant de la forteresse Monroe, accueillaient tous les fugitifs sans exception, et se hâtaient de leur procurer un travail salarié ; plusieurs juges se déclaraient incompétens quand les maîtres venaient réclamer leurs esclaves enfuis ; le président lui-même, se départant de sa réserve habituelle, disait solennellement que les « contrabans confisqués ne seraient jamais réduits à une nouvelle servitude » et se déclarait « prêt à abdiquer plutôt que de tolérer une pareille infamie ! » Enfin les soldats menaçaient de leurs armes les chasseurs d’esclaves, et quand ils se mettaient en marche, musique en tête, bannières déployées, ils plaçaient les noirs au milieu de la colonne, afin que personne ne s’avisât de les toucher. Aussi le nombre des affranchis s’accroissait-il rapidement dans toutes les parties de la république occupées par les armées du nord. À Saint-Louis du Missouri, au Caire, à Washington, dans la forteresse Monroe et sur tous les points conquis de la côte du sud, des colonies de nègres libres se formèrent sous la protection du drapeau fédéral. De toutes ces colonies, la plus importante et la plus digne d’intérêt est celle de Port-Royal dans la Caroline du sud. C’est là que les Africains des États-Unis ont donné le plus éclatant démenti à ces calomniateurs intéressés d’après lesquels le noir ne saurait travailler, si la vue du fouet ne le tenait courbé sur le sillon.


L’estuaire de Port-Royal, ainsi nommé par le huguenot Jean Ribault en l’honneur de Charles IX, est le meilleur mouillage de la côte redoutable qui s’étend de la Chesapeake au détroit des Florides. Situé entre Charleston et Savannah, les deux plus grandes villes que les confédérés possèdent sur le rivage de l’Océan, il offre aux escadres de l’Union une excellente position stratégique, et permet aux vaisseaux de surveiller efficacement les abords des deux cités voisines. Aussi l’une des premières entreprises tentées par le gouver-