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Cependant l’état à esclaves de l’Arkansas, aussi bien que l’état libre du Kansas, se peuplait de nègres au dépens du Missouri durant la première période de la guerre. Pour garder leurs troupeaux de noirs que les bandes abolitionistes menaçaient de leur enlever, un grand nombre de planteurs se réfugiaient en toute hâte chez leurs amis du sud. C’était de la part des esclavagistes un aveu d’impuissance, une reculade devant le travail libre, presque une trahison de leur cause. En vain les chefs des rebelles lancèrent-ils des proclamations pour arrêter l’émigration des propriétaires de nègres, les routes de l’Arkansas étaient continuellement encombrées de fugitifs emmenant avec eux leur bétail noir : le gouverneur esclavagiste Claiborne Jackson et le général confédéré Price donnaient eux-mêmes l’exemple et faisaient évacuer leurs plantations du Missouri pour établir leurs nègres dans les vallées de l’Arkansas et de la Rivière-Blanche. Dès le commencement de l’année 1862, les statistiques estimaient que le courant de l’émigration volontaire vers le Kansas et celui de l’émigration forcée vers l’Arkansas avaient fait perdre au Missouri la moitié de sa population asservie. D’après cette estimation, il resterait à peine encore 60,000 esclaves dans l’état[1]. Le représentant Henderson, chargé de défendre les intérêts du Missouri dans le sein du congrès, croit pouvoir évaluer à plus de 90,000 le total de la population servile appartenant encore à ses concitoyens. C’est là un chiffre inspiré peut-être par le désir d’enfler la prime d’affranchissement accordée aux planteurs du Missouri ; toutefois cette évaluation suppose elle-même que le nombre des esclaves a décru dans l’état de 25,000, ou de près d’un quart. On le voit, le premier résultat de la lutte a été de faciliter l’émancipation des noirs par la décroissance du capital vivant des planteurs. Après une année de guerre, les rebelles du Missouri comprirent enfin que l’esclavage n’était plus une bonne spéculation et ne valait plus la peine d’être défendu. Dès que la liberté du travail fut admise par les Missouriens comme une nécessité économique, le pays se pacifia ; les bandes éparses cessèrent d’inquiéter les armées de l’Union, et la guerre se déplaça du côté du sud de l’Arkansas. Une fois de plus l’événement prouvait que l’esclavage avait été la seule cause de la séparation.


III

Les brigades abolitionistes qui avaient lutté avace tant d’énergie pour la délivrance du Missouri auraient certainement continué la guerre dans l’Arkansas sans demander conseil au gouvernement de

  1. Lors du recensement de 1860, on en comptait 11,031.