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habitans du Kansas eux-mêmes. En novembre 1860, lorsqu’ils élirent M. Lincoln, ils n’avaient d’autre intention que d’affirmer l’inviolabilité du travail libre dans les états du nord, et pour donner aux planteurs des gages de leur sincérité, ils ne cessaient de témoigner le dégoût que leur inspiraient les abolitionistes. La fraternité humaine, l’égalité future de toutes les races, la liberté universelle, n’étaient que chimères pour les républicains d’Amérique, et s’ils avaient cru à la scission dont on les menaçait depuis de si longues années, on ne peut douter qu’ils eussent voté en masse pour un candidat favorable à l’extension de l’esclavage. Les radicaux, isolés ça et là dans quelques villes de la Nouvelle-Angleterre, eussent été réduits à une impuissance absolue. N’essayons point de pallier ce fait déplorable : les hommes du nord étaient en grande majorité complices de leurs concitoyens du sud dans le crime de l’esclavage ; ils voulaient simplement s’en épargner le remords.

Aussi le parti républicain caressait la chimère d’un compromis définitif, comme si les passions pouvaient se condamner jamais à osciller autour d’un centre de gravité. Plus logiques et doués de cette prescience instinctive que donne toujours un principe absolu, les hommes du sud comprenaient fort bien qu’un accord à l’amiable était impossible entre deux groupes d’états où la condition sociale des travailleurs offre un antagonisme si complet. Ils savaient qu’une victoire décisive serait remportée tôt ou tard par l’une ou l’autre des sociétés hostiles, et la prévision de l’avenir leur faisait confondre dans une même haine les républicains de tout le nord et les abolitionistes de Boston. Et comment n’auraient-ils pas abhorré ce parti qui, tout en respectant l’esclavage, venait de lui faire subir son premier échec ? L’histoire des quatre-vingts dernières années avait appris aux planteurs que le maintien de leurs privilèges avait pour condition essentielle une série non interrompue de triomphes, et qu’un temps d’arrêt dans leurs conquêtes deviendrait inévitablement le signal du recul. En effet, l’esclavage, abandonné à ses propres forces, ne peut soutenir la concurrence avec le travail libre : il se limite nécessairement à un petit nombre d’industries ; il épuise la terre, il fatigue les hommes, il ne peut les utiliser que par masses, et surtout il leur ôte cet aiguillon de l’intérêt privé, sans lequel l’ouvrier, dépourvu de toute initiative, devient une machine sans intelligence. Pour contre-balancer ces causes d’infériorité, les planteurs avaient la grande ressource d’étendre indéfiniment leur domaine et de garder avec un soin jaloux le monopole des produits spéciaux qui faisaient leur richesse ; mais l’admission du Kansas au nombre des états libres, puis le triomphe des républicains dans les élections présidentielles de 1860, prouvèrent aux esclavagistes qu’ils