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et sur le règne suivant un ancien ministre tel que le marquis d’Argenson. Toutefois, en trouvant les habitudes du quartier Bréda établies à la cour d’Anne d’Autriche, en voyant une certaine femme La Loy tenir, dans l’antichambre même, de la reine, boutique de bijoux et petite poste aux poulets, il est impossible de ne pas éprouver quelque chose de la surprise attristée qu’ont suscitée pour la génération actuelle tant de publications sur les deux derniers siècles, en commençant par l’œuvre graveleuse de Tallemant des Réaux pour finir par le journal naïvement cynique de Barbier.

Il s’est trouvé que les époques les plus troublées, et par ce motif même les plus immorales, de la longue période comprise sous la dénomination d’ancien régime ont été, par une fatalité dont ce temps porte la peine, beaucoup plus fécondes en écrivains de mémoires et en observateurs politiques que des temps ou plus heureux ou plus tranquilles. La régence d’Anne d’Autriche, durant laquelle la misère des populations fut lamentable, resplendit d’un grand éclat littéraire; celle du duc d’Orléans n’a pas provoqué un épanouissement moins brillant de l’intelligence au milieu des désastres inséparables de l’union de l’esprit d’aventure avec l’esprit de cupidité; la dernière partie du règne de Louis XV, celle qu’il faut bien nommer le gouvernement de Mmes de Pompadour et Du Barry, correspond à la plus grande fécondité littéraire qu’ait jamais connue une nation. Les écrits politiques et les tableaux de mœurs abondent donc pour ces jours-là, tandis qu’ils sont beaucoup plus rares pour les époques historiques qui précèdent ou qui suivent ces périodes agitées. Les trente glorieuses années qui s’étendent de l’emprisonîîement de Fouquet à la guerre de la succession d’Espagne, années signalées par tant de triomphes et tant de chefs-d’œuvre littéraires, n’ont fourni que fort peu de mémoires et pas un écrit politique. Le long ministère du cardinal de Fleury, qui cicatrisa les plaies ouvertes par l’impitoyable administration des dix dernières années de Louis XIV, est beaucoup moins connu et moins étudié que les jours qui allaient voir s’allumer les premières passions politiques sous l’impulsion des grandes compagnies judiciaires. Enfin les douze premières années du règne de Louis XVI, l’une des époques les plus attrayantes de notre histoire par une aspiration générale vers le bien public que secondait le mieux intentionné des princes, étaient restées complètement dans l’oubli, quant au régime économique et administratif, jusqu’aux travaux récens de M. de Lavergne. Pour apprécier avec équité et en pleine connaissance de cause le gouvernement sous lequel vécut la France durant plus de quatre générations, il faudrait donc faire entre des époques très diverses, quoique fort rapprochées, des distinctions dont la passion et l’ignorance sont