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destie dans ses paroles. Sans protester contre le sort, sans paraître redouter le châtiment terrible dont il se sait menacé, il implore la clémence royale en confessant les projets insensés qui trouvent quelque excuse dans leur extravagance même, et qu’il ne s’étudie à défendre que par l’ivresse à laquelle la miséricorde divine vient de l’arracher. « Merci, mon Dieu, car voilà le chemin de son salut! » avait dit Mme Fouquet en apprenant l’écroulement de la fortune de ce fils si coupable, mais toujours si cher. Fouquet ne démentit pas un jour, pendant dix-huit années d’une impitoyable captivité, ce cri sublime échappé au cœur d’une mère. L’oreille fermée à tous les bruits du monde, il retrouva la paix au fond d’une forteresse des Alpes, dont le siège était fait secrètement, à force de péril et d’or, par une sainte mère et une admirable épouse, oiseaux du ciel quelquefois entrevus à travers les grilles et les abat-jour du captif!

Rien ne rompit, au moins pendant les seize premières années, la monotonie de cette existence, contrainte de se replier sur elle-même en se nourrissant d’amers souvenirs tempérés par d’immortelles espérances. L’historien de Fouquet n’a fait, malgré de persévérantes investigations, que peu de découvertes sur cette période, la plus intéressante peut-être, de la vie du malheureux surintendant. Nous en restons à quelques fidèles serviteurs de sa famille mis aux fers et à un gardien pendu pour avoir tenté de faire arriver jusqu’à Fouquet des nouvelles de cette terre des vivans à laquelle il n’appartenait plus. Enfin, dans le long chapitre consacré à cette longue captivité, nous en sommes toujours à l’anecdote si connue de Lauzun, qui, en contant à Fouquet sa fabuleuse fortune et son mariage royal, excite l’effroi bien naturel de ce dernier à la pensée qu’on veut ajouter à l’horreur de sa captivité l’obligation de la partager avec un homme en démence.

Cependant cette séquestration absolue, aggravée par les exigences multipliées de Louvois, provoqua bientôt pour Fouquet des jouissances plus nobles que celles dont il avait épuisé la coupe. Méditant les livres saints dans le cours à peine dissemblable de ses jours et de ses nuits, il se mit à les commenter en prose et à les traduire en vers[1]. Dans la contemplation de ces horizons qu’il n’avait pas même soupçonnés, l’âme du prisonnier emprunta quelque chose

  1. En 1683, le comte de Vaux, fils aîné de Fouquet, publia à Paris deux petits volumes, extraits des manuscrits laissés par son père, sous le titre de Conseils de la sagesse, ou Recueil des Maximes de Salomon... M. Lemonnier a publié, à l’appendice de son Histoire du chancelier d’Aguesseau, l’admirable lettre écrite par Fouquet à sa mère en 1675, dans laquelle respire une mélancolie touchante tempérée par un apaisement sublime. M. Cherruel a reproduit in extenso ce monument de résignation chrétienne d’après le manuscrit autographe de la Bibliothèque impériale.